Le désir irrépressible d’une femme de jouir avec sa voix, filmée subtilement par Xavier Giannoli.
Elle chante l’“Air de la Reine de la nuit” de Mozart, donne tout d’elle-même, mais sa voix est atrocement (ou génialement) fausse. C’est Marguerite Dumont, baronne du Paris des années 20, fondue d’art lyrique mais chanteuse nulle.
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Cet étrange être de fiction est inspiré par une certaine Florence Foster Jenkins, vraie cantatrice velléitaire qui avait déjà servi de modèle à un personnage de Citizen Kane. Xavier Giannoli semble reprendre ici un de ses thèmes favoris, l’imposture (A l’origine, Superstar…), mais il fait beaucoup plus et mieux que ça. Car l’imposteur est acteur conscient de sa duperie, alors que Marguerite ne sait pas qu’elle chante faux, et que son entourage se garde bien de le lui dire, par servilité ou par affection.
Marguerite agite des questions complexes et cruelles. Que se passe-t-il quand on aime éperdument un art mais que celui-ci ne vous aime pas ? Déroger aux codes admis du beau n’est-il pas une forme de déconstruction, une mise en crise, un éclat dadaïste ? Est-il plus important de chanter parfaitement ou de s’investir totalement dans son désir (voire son délire) même si on est mauvais ?
Un tableau vivace du Paris twenties
Giannoli brasse ce feuilleté de motifs avec virtuosité, fait de sa Marguerite un personnage aussi ridicule qu’émouvant et de son film autant une comédie qu’une tragédie. Il parvient à mener tout du long ces deux registres a priori contradictoires, tenant en haleine avec toute l’arborescence de son intrigue (va-t-elle apprendre à finalement bien chanter ? va-t-elle reconquérir son mari ? découvrira-t-elle la terrible vérité de sa voix ? si oui, comment la prendra-t-elle ?, etc).
Au passage, Giannoli dresse le tableau vivace du Paris twenties (photo désaturée superbe), de ses marges artistiques, avant-gardes et freaks magnifiques (le Paris queer, dirait-on aujourd’hui), tout en effeuillant petit à petit le vrai sujet profond de son film : la libido féminine.
Catherine Frot exceptionnelle
Pour Marguerite, chanter est un acte existentiel et sexuel (dans une scène, elle saigne de la bouche), c’est le substitut vital à un époux qui la délaisse mais auquel le film réservera aussi sa part de complexité. L’apprentissage du chant, c’est celui d’elle-même et de son corps, par lequel Marguerite devient femme, comme dirait Simone.
Giannoli est servi par une Catherine Frot exceptionnelle, très bien entourée par le superbe cabotin Michel Fau, l’excellent André Marcon dans un registre plus intériorisé, ou encore le remarquable Denis Mpunga, qui incarne avec une sobriété souveraine le majordome aimant et protecteur de Marguerite. Drôle et bouleversante, cruelle et empathique, féministe et picturale : cette Marguerite, je l’aime un peu, beaucoup, passionnément.
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