L’auteur de « Vincere » souhaitait réaliser une satire politique de l’Italie contemporaine, mais s’est confronté à la censure light version Berlusconi. Résultat : aucun producteur n’a accepté de financer son projet.
Il y a définitivement quelque chose de pourri au royaume de Silvio Berlusconi. Alors que l’un des derniers cinémas romains qui diffusait des films en version originale a été racheté par le groupe du Cavaliere pour servir de succursale à Benetton, que les crédits d’impôts alloués à la production nationale sont en baisse constante, c’est l’un des plus éminents (le plus ?) ambassadeurs du cinéma transalpin qui se voit interdire d’exercer librement.
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Dans une interview accordée au quotidien Corriere Della Sera, Marco Bellocchio explique qu’il a été contraint d’abandonner son prochain projet de film, faute de financement. L’auteur de Vincere, présenté au festival de Cannes en 2009, souhaitait réaliser une satire politique de l’Italie inspirée par la gouvernance Berlusconi : Italia Mia (Mon Italie).
Une version très fidèle
Décrivant son projet comme une étude du pouvoir dans l’Italie contemporaine, Marco Bellocchio a précisé au Corriere Della Sera que le personnage principal du film devait être une jeune fille embarquée dans « des affaires connues de tous, et qui ont fait la une de tous les journaux ». Son récit devait s’achever par une fête dans « une villa luxueuse sur une île, peut-être en Sardaigne ou en Sicile, où des évènements choquants se sont déroulés ».
Bref, une adaptation très fidèle des frasques du Président du conseil italien, même si Marco Bellocchio assurait ne vouloir citer aucun nom.
Le montage financier de son film intervenait au pire moment pour Silvio Berlusconi, qui risque toujours une mise en examen pour avoir eu recours aux services d’une prostituée mineure (l’affaire Ruby). Mais le pouvoir d’influence du fondateur du groupe Mediaset et son emprise croissante sur les milieux de l’audiovisuel et du cinéma ont probablement favorisé l’échec du projet : présenté à près de dix investisseurs différents, Italia Mia s’est vu à chaque fois opposer une fin de non recevoir.
Le budget annoncé du film, entre 6 et 7 millions d’euros, bien que relativement conséquent pour l’Italie, était inférieur à celui de Vincere (9 millions d’euros). Ni le statut de Marco Bellocchio, reconnu par la critique internationale comme l’un des plus grands réalisateurs italiens en activité, ni le budget du film ne peuvent donc justifier son abandon.
« Cela ne m’est jamais arrivé de ma carrière, s’est indigné le réalisateur au quotidien italien. Bien sûr je ne voulais pas mettre en scène une comédie. Je voulais parler de l’Italie d’aujourd’hui, il n’y a donc pas de quoi rire. Je n’avais pas pour autant l’intention de suivre les journaux à la lettre, ou de donner dans le pamphlet. »
Un pays anormal ?
Peut-être son passeport –très réducteur– de cinéaste subversif a-t-il aussi contribué à la frilosité des investisseurs : de la jeunesse révolutionnaire des Poings dans les poches, d’un Sourire de ma mère pas vraiment en odeur de sainteté au Vatican, ou d’une histoire du fascisme depuis le lit de Mussolini, Marco Bellocchio n’a jamais cessé d’observer les dysfonctionnements passés et présents de l’Italie.
Selon le Corriere Della Sera, le blocage économique de son prochain film est le dernier symptôme d’une crise du cinéma national : « Dans un pays normal, toutes les portes du monde du cinéma seraient ouvertes à un réalisateur comme lui. »
Interrogé par le Guardian, le scénariste Alessandro Bencivenni, qui a notamment travaillé avec Mario Monicelli (Le Rose Del Deserto), va plus loin et explique que c’est tout le système de production italien qu’il faudrait réformer :
« Le cinéma ne peut pas exister en Italie sans le financement de la maison de production de Berlusconi, sans la télévision publique RAI qui est indirectement dirigée par Berlusconi, ou sans les subventions du gouvernement italien. Il est très difficile aujourd’hui de trouver un producteur qui investira dans des projets vraiment risqués. »
S’il va sans doute s’engager dans un autre film, Marco Bellocchio a indiqué qu’il n’abandonnait pas pour autant son idée d’Italia Mia, et qu’il désirait un jour la mettre en scène. Un projet qui aurait presque valeur de programme politique.
Romain Blondeau
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