A l’occasion de la sortie de son nouveau film, « Fais de beaux rêves », et d’une rétrospective à la Cinémathèque, panorama de l’œuvre iconoclaste, psychanalytique et politique de Marco Bellocchio : l’un des plus grands cinéastes italiens vivants.
Moins mystique que Pier Paolo Pasolini, Marco Bellocchio est peut-être, de tous les cinéastes italiens importants apparus dans les années soixante le plus attiré par les recherches psychanalytiques, le moins formaliste en apparence, et pourtant l’un des plus radicaux politiquement. Dès son premier film, en 1965, Marco Bellocchio s’attaque frontalement et avec un goût pour le théâtre à certains tabous de la société italienne d’alors : la famille, la sexualité, la religion. A tout ce qui entrave l’individu. En dix films, la quintessence de son œuvre.
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Les Poings dans les poches (1965)
S’il y a bien un premier long métrage dont on peut dire qu’il annonce le programme d’une œuvre à venir, c’est bien Les Poings dans les poches, accueilli dès sa sortie comme un grand film. La folie, les rapports de haine et d’amour à la mère et à la famille qui peuvent aller jusqu’au meurtre : c’est l’un des grands sujets de Bellocchio, comme nous le verrons, qu’il soit direct (Le Sourire de ma mère, 2002) ou indirect (Vincere, 2009). Il découvre aussi un grand acteur : Lou Castel.
Au nom du père (1972)
Cette fois-ci, l’attaque est directement orientée vers l’Eglise. Deux élèves d’un collège de Jésuites se révoltent contre l’autoritarisme et le sadisme de leurs maîtres, plus névrosés les uns que les autres. Un pamphlet dévastateur contre l’Ecole catholique et la folie qu’elle tente de communiquer aux enfants. La contamination, l’héritage culturel sont deux des obsessions du cinéma de Bellocchio.
Le Saut dans le vide (1980)
L’un des plus grands succès de Bellocchio : Michel Piccoli et Anouk Aimée tous deux récompensés à Cannes pour ces rôles) y interprètent un frère et une sœur vivant ensemble depuis toujours. Lui, juge, ne supporte plus cette relation étouffante et tente de « caser » sa sœur ultra-protectrice et suicidaire. Au-delà du conflit psychanalytique (un Œdipe mal réglé), encore une fois une histoire de « mère » de substitution, prédatrice et intrusive qui empêche son frère de vivre sa vie. Et un refoulé qui s’avère assassin.
https://www.youtube.com/watch?v=af1X9fdSVLE
Le Diable au corps (1986)
Le film qui fit scandale pour une raison ridicule : une scène de fellation absolument charmante, qui nous empêche aujourd’hui de vous proposer une bande-annonce du film (dont on ne peut trouver des extraits que sur des sites pornos). Du roman de Radiguet plusieurs fois adapté à l’écran, Bellocchio tire un film inscrit dans son temps : la femme mûre (Maruschka Detmers, splendide) qui a une aventure avec un adolescent est liée aux Brigades rouges. Au final, un film plus fidèle au roman, plus incandescent et provocant que l’adaptation d’Autant-Lara avec Gérard Philipe et Micheline Presle. La femme mène encore la danse. Femme de désir et de passion, mère de substitution avec lequel on a le droit de faire l’amour.
Le Prince de Hombourg (1997)
Cette pièce de Kleist (qu’Eric Rohmer mit en scène au théâtre) raconte, l’histoire d’un prince qui, lors d’une bataille, désobéit aux ordres qu’on lui a donnés, distrait par ses rêves amoureux et de grandeur. Le général en chef trouve la mort dans les combats. Le prince de Hombourg doit être jugé… L’un des plus beaux films de Bellocchio sur la puissance de l’imaginaire sur le réel, sur la sujétion de l’individu à la force de son inconscient.
La Nourrice (1999)
Encore un très beau film sur la maternité et ses mystères. Parce que son épouse (géniale Valeria Bruni-Tedeschi) n’éprouve aucun sentiment maternel pour son nouveau-né, un jeune psychiatre décide de le confier à une nourrice (Maya Sensa). Mais l’affection naissante entre l’employée et l’enfant va perturber énormément la jeune mère… Psychanalyse, substitution, contamination, bêtise de la bourgeoisie, tout Bellocchio est là, dans un film d’une clarté et d’une intelligence malicieuses.
Le Sourire de ma mère (2002)
Un chef d’œuvre, la synthèse bellocchienne : un peintre reconnu, Ernesto (Sergio Castellitto, génial), qui a pris depuis des années ses distances avec sa famille bourgeoise, apprend que l’Eglise veut canoniser sa mère… Lui, devenu athée, n’a jamais vu sa mère comme une sainte, bien au contraire… De vieux fantômes surgis du passé (et même du cinéma de Bellocchio) reviennent dans sa vie, entre imaginaire et réel. Il finira par choisir l’espoir, l’amour pour une femme qui marche vers l’avenir. Un portrait lucide de l’imprégnation presque invisible de la société italienne par la religion, et de sa violence larvée.
Buongiorno, notte (2003)
Bellocchio donne sa version, baignée d’onirisme, d’un événement traumatique de l’histoire d’Italie récente : l’affaire Aldo Moro, le chef du principal parti politique de la Péninsule, le Parti démocrate-chrétien, enlevé puis tué par les Brigades rouges à la fin des années 70. Le film est passionnant, mais sa beauté réside surtout dans la gêne de Bellocchio à prendre parti pour un côté de l’échiquier politique ou l’autre, à accepter l’idée qu’un meurtre, même pour des raisons politiques, puisse se justifier. C’est dans cet entre-deux (le film se termine par le rêve de libération de Moro), si fidèle à l’œuvre entière de Bellocchio, à ses doutes et ses contradictions d’homme de gauche, que se situe ce film extrêmement original et intelligent.
Vincere (2009)
L’histoire, une nouvelle fois, d’une femme. La maîtresse de Mussolini, soutien indéfectible de son amant jusqu’à son accession au pouvoir, moment où il la chasse de sa vie parce qu’elle devient gênante pour son image (Le Duce est marié…). Or l’amante a un enfant. Sur un mode opératique, tragique, Bellocchio décrit le long chemin de croix d’une femme trahie par celui qu’elle aime, et dont le fils finira fou. Dans ce personnage féminin, on peut aussi voir l’allégorie d’une Italie souillée par Berlusconi. Ou, plus simplement, encore l’un des ces nombreux personnages de mères folles qui habitent depuis toujours le cinéma de Bellocchio.
https://www.youtube.com/watch?v=XeaRJxJcp7E
Sangue del mio sangue (2015)
L’un des films les plus drôles, les plus fous et libres de Bellocchio. Une histoire de couvent, sur plusieurs époques qui se chevauchent, une histoire aussi de religieuse « sorcière » emmurée, de vampires contemporains, et le tableau d’un monde qui change pour le pire. Irracontable, Sangue del mio sangue aboutit au constat désolé que les revenants sont plus beaux, plus vrais, plus passionnants que nos contemporains assoiffés de pouvoir et d’argent. Bellocchio, à 75 ans, deviendrait-il misanthrope ? Seul l’humour le lave heureusement de ce soupçon.
Rétrospective à la Cinémathèque française, du 7 décembre au 9 janvier.
Les Poings dans les poches ressort en DVD en version restaurée chez Ad Vitam (environ 20 euros)
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