Prix d’interprétation à Cannes, l’acteur et réalisateur italien est un histrion lunaire et survolté, au parcours cabossé.
On a vu, le 19 mai, sa silhouette minuscule s’extirper d’un parterre de célébrités pour recevoir le prix d’interprétation masculine. Inconnu au bataillon avant ce rôle dans la fable white trash Dogman de Matteo Garrone, l’histoire d’un gentil toiletteur, papa aimant et divorcé, embarqué à son corps défendant dans une minable entreprise criminelle. Là, à Cannes en star d’un jour, son sourire immense déforme un visage un peu Picasso, très sculpté, vastes orbites et pommettes si saillantes qu’on redouterait de se couper dessus. Il monte et l’espace d’un instant, on croit qu’il va refuser le prix, parce qu’il le fait vraiment (“Grands dieux, non !”), et que ça dure un peu plus longtemps que ne le permet la modestie de bon aloi (“Non mais il faut qu’il le prenne !”, s’inquiète Edouard Baer).
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Pour qui n’a pas encore vu Dogman, la scène suffit à voir quelle étrange folie bouillonne en Marcello Fonte, cette sorte d’hystérie de la timidité, envie paradoxale de se faire encore plus petit qu’il ne l’est déjà, et en même temps de s’agiter tous azimuts, jeter ses bras et ses regards aux quatre coins de la pièce. Il semble toujours pris dans un monologue intérieur qui lui agite les yeux. Cette fureur mal contenue, joyeuse, chancelante, accroche le regard. Ironie : c’est Roberto Benigni qui lui remet le prix. “L’acteur que Matteo Garrone avait en tête en premier, quand il a initié le projet. Il voulait quelque chose de comique, je pense qu’il a vu ça en moi aussi.” Comique, Fonte l’est dans la vie : il répond à la moitié des questions par des vannes (“Vous aimez les chiens ? – Bleu, surtout la cuisse”). Endurci, buriné par une vie d’authentique galérien, il l’est aussi, et ça se voit un peu plus que chez Benigni, même si tous deux se trouvent être fils de paysans.
Des petits boulots loin des plateaux
Le couronnement dans le rôle d’un toiletteur a quelque chose du passage de l’autre côté pour celui dont la vie épouse tous les contours de celle du chien errant : jeunesse en Calabre, sous la houlette d’un père fantasque et d’une mère autoritaire, qu’il fuit pour vivre son rêve d’enfant de la balle (il voulait jouer du tambour, et en fera le fil de sa seule réalisation, Asino Vola, un long métrage autobiographique présenté en 2015 à Locarno qui devrait selon lui connaître une sortie française à l’automne) avant de butiner de squat en squat à Rome, découvrir le cinéma par les corvées techniques, quand il ne s’affaire pas à des petits boulots loin des plateaux. “Je déroulais du câble, je me frayais un chemin et j’observais les grands ; discrètement, dans les toutes premières années, je me suis retrouvé sur les plateaux d’Ettore Scola et Martin Scorsese.”
A côté, il est notamment coiffeur, et se retrouve à réviser les fondamentaux pour son rôle dans Dogman : “Dans une scène qui fut finalement supprimée au montage, je coupais les cheveux de mes codétenus. Le monteur, l’excellent Marco Spoletini, a conseillé à Matteo de la retirer parce qu’elle était trop tendre, à un moment où le film était censé monter en dureté.” On comprend la logique, même si on aimerait bien y jeter un œil tant le personnage est tout entier ici : ce miséreux délicat au corps ratatiné, qui shampouine les gros durs certes pour survivre, mais aussi par un pur élan de bonté ; cet éternel répudié, injustement puni, qui dans les ultimes recoins de l’isolement (une prison, fait-on mieux ?) s’anime encore d’une bienveillance enfantine – et qui, in fine, devient fou.
La compagnie d’un perroquet
Evidemment se pose désormais la question de la suite. Il nous dit avoir reçu une vingtaine de scénarios mais, curieusement, on a un peu peur. Sans totalement lui souhaiter de retourner à ses pénates de Nuovo Cinema Palazzo où, selon ses dires, il attendait chaque jour que la chance tourne, assis sur sa chaise en plein trottoir, “prenant racine”, on voudrait pourtant qu’il ne tourne pas la page de sa vie d’avant si poétique. Exemple parmi tant d’autres : il y a trois ans, s’ennuyant sur un film sans amis dans l’équipe, il acheta un perroquet pour lui tenir compagnie dans sa chambre d’hôtel, passa chaque instant de repos avec lui, l’emmena boire le café le matin, pour enfin lui rendre sa liberté au moment de reprendre la sienne, délivré de sa solitude à la toute fin du tournage.
Le succès n’aura-t-il pas raison de cette sublime bizarrerie ? Espérons que non, ne serait-ce que pour relire un jour sur son visage l’hypnotique mixture de sauvage folie, de souvenirs douloureux, de fatigue de vivre, de tendresse qu’il offre au dernier plan de Dogman, “filmé sans direction, dans une totale télépathie avec Matteo qui cadrait directement à son épaule”, et que seul celui qui a tant et si fort vécu peut faire remonter de lui-même.
Dogman de Matteo Garrone, en salle le 11 juillet
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