Pour Marc Barbé, découvert avec Sombre de Philippe Gandrieux, le métier d’acteur reste mystérieux et irrationnel.
Qu’est ce qui vous a donné envie de faire ce métier ?
C’est ce métier qui m a choisi plutôt que l’inverse. Ça a commencé grâce à Gérard Mordillat, que je connaissais depuis longtemps. Quand il préparait son film sur Artaud, il a eu l’idée de mettre en parallèle Artaud et Jacques Prével, poète inconnu ? donc de confronter Sami Frey à un jeune acteur inconnu. Et Gérard, avec qui je partageais un amour de la poésie, a pensé à moi. J’étais pas acteur, ce n’était pas une vocation. Mais voilà, c’est parti de ce film.
Je ne suis toujours pas sûr qu’acteur soit un métier. Mais j’ai toujours aimé le cinéma, j’y allais énormément quand j’étais gamin et je suis donc très content de me retrouver là-dedans. J’allais surtout voir des films américains, j’ai flashé sur ces acteurs-là, j’ai découvert les auteurs européens, Tarkovski ou Bresson, beaucoup plus tard. A 16 ou 17 ans, je m’empilais les Ford, les Walsh, les Hawks’ Après plusieurs années de métier , j’aime beaucoup ça. C’est passionnant de se retrouver dans des projets intéressants. Tous les films ne sont pas forcément gratifiants ; j’ai eu pas mal de chance sur ce point. Je ne sais pas si j’en apprend beaucoup sur moi-même, je pense qu’on fait les choses avec les autres plutôt qu’avec soi-même. Malgré ce qu’on entend souvent, le ressort n’est pas si intérieur que ça. Ce qui est enregistré sur la pellicule au bout du compte, c’est toujours un rapport entre le réalisateur et ses acteurs. Le regard qui compte, c’est celui du cinéaste ; le regard de l’acteur sur lui-même n’a pas grand intérêt.
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Qu’est-ce qui détermine vos choix artistiques ? Quelle votre relation à l’argent ?
Réussir dans ce métier serait pour moi travailler tout le temps avec des gens qui cherchent. Je suis peut-être dans un luxe, mais jusqu’à présent, je n’ai jamais fait de film pour des critères financiers. Je tiens beaucoup à ça. Mais c’est une question de choix : la nécessité financière, je n’y crois pas trop, je pense que c’est une situation dans laquelle on se met ou pas. Après, les critères relèvent aussi d’une affaire humaine. On rencontre un réalisateur une heure ou deux, avant de lui taper dans la main et de dire je fais le film . C’est un rapport humain : on écoute ce que dit le réalisateur de son film et après, ça peut être le début d’une amitié. C’est comme rencontrer quelqu’un dans un bistrot avec qui on parle une heure : il y a des gens avec qui on a envie de continuer la conversation, et d’autres non. C’est le critère essentiel. Le scénario n’est pas un critère suffisant : il y a de mauvais scénarios qui font d’excellents films et vice-versa. Ce qui compte, c’est ce que le réalisateur propose, avec son intelligence, avec son corps’ Il m’est arrivé de refuser des projets, mais une fois, j’ai regretté de ne pas avoir fait un film : le film précédent de la personne m avait gonflé et j’ai refusé de la voir. C’est idiot : il faut rencontrer les gens, parce que tout le monde peut louper un film et réussir le suivant.
Qu’est ce qui serait un compromis ?
Je ne pourrais pas faire de compromis. Un film, c’est un tel combat qu’en tant qu’acteur, il faut rentrer dans ce combat. On ne peut pas faire ça à moitié. Après, il y a certains compromis internes au cinéma : c’est une industrie, il y a beaucoup d’argent en jeu’ On n’a pas toujours envie de faire la promo d’un film selon certaines approches de la promo, mais il faut défendre ce qu’on fait. Mais le compromis d’aller faire un film dont on se dit que c’est une merde, ce n’est pas possible. Le succès n’est pas pour moi une motivation.
Quels sont les moments importants du métiers ?
J’aime tous les stades du métier d’acteur. J’aime bien quand on prépare, quand on cherche, les conversations avec le réalisateur Les préparations sont comme une espèce de rêverie. Je ne crois pas à la notion de personnage, à la préparation psychologique. Ce moment-là est très beau : on est le réceptacle d’un tas de choses, on ne sait pas trop quoi, et ça se cristallise quand on tourne. J’aime beaucoup aussi le tournage : il y a une incarnation des choses qui est jubilatoire, il y a les partenaires. Dans la mesure où les réalisateurs l’acceptent, j’aime aussi beaucoup aller suivre le montage, voir ce que devient le film. Ce que je n’aime pas dans le métier, ce sont les castings où les gens opèrent comme s’ils faisaient leur marché. Il y a des réalisateurs qui font ça bien, qui rencontrent vraiment les acteurs, mais il y a plein de gens qui font ça dans des bureaux glauques, avec une armée d’assistants, une petite caméra vidéo, des bouts d’essais’ ça, c’est très désagréable parce que ça devient un marché, un endroit inhumain. Je refuse ces castings : soit je rencontre les gens, soit il m’envoient un scénario, mais je ne vais pas me faire du mal.
Quelle est votre relation à l’argent ?
Je vis de ce métier, mais il y a beaucoup d’acteurs qui rament terriblement, même avec notre système d’intermittents. Ils sont sans doute 80% à avoir du mal à vivre. Dans le cinéma, on est très bien payés, même quand on est mal payés. On l’est toujours bien mieux qu’au théâtre ou ailleurs. En faisant un film par an, un peu de théâtre, on vit : mais ça, c’est déjà du luxe ! J’ai conscience de ma situation privilégiée. J’aime beaucoup les deux, le cinéma et le théâtre, même si les modes de fabrication sont totalement différents. Le théâtre, c’est la durée, le temps réel’ Cela dit, en ce qui concerne les acteurs, ce sont au fond les mêmes choses qui entrent en jeu ? c’est le même corps, ce sont les mêmes ressorts. Les acteurs sont les passeurs de quelque chose entre réalisateur et spectateurs, il faut garder ça en tête : on n’est pas des créateurs, on transmet il ne faut pas faire obstacle, il faut laisser les choses se transmettre.
Quel regard portez-vous sur le milieu du cinéma ?
Je suis sensible aux mutations de l’industrie du cinéma parce que je suis proche de Gérard Mordillat qui a beaucoup milité sur ces questions, qui a réfléchi aux conditions d’existence du cinéma indépendant Il n’y a pas de quoi être optimiste. Régulièrement, des choses rendent plutôt furieux. Mais il faut se bagarrer. Chacun doit défendre le cinéma auquel il croit. C’est aussi très compliqué : on est un peu des petits enfants dans un monde d’adultes, on ne sait pas tout. Il existe une sorte de géopolitique de la production et de la diffusion qui est très complexe mais il faut se bagarrer à l’endroit où l’on est.
Quelles relation entretenez-vous avec le milieu ?
Le milieu du cinéma, ça n’existe pas, c’est une illusion complète. Je pense qu’il y a plutôt un tas de petites familles de gens qui ont des affinités et qui se côtoient, c’est tout. Il y a plusieurs façons de faire du cinéma, chez les acteurs il y a aussi de grandes différences d’approche. On ne fait pas tous le même métier, en tous cas pas de la même façon. Mais je ne me sens pas isolé, j’ai des complicités avec certaines personnes. Par contre, tout le tintamarre, la glamorisation, les mondanités, ne m intéressent pas du tout. On peut accompagner la promo d’un film sans céder à ça : le tout, c’est de rester sur le film, de ne pas s’autopromouvoir. Je n’ai pas grand-chose à dire sur moi, je préfère parler des films.
Quelle est la réalité de ce métier ?
Ceux qui pensent qu’être acteur, c’est connaître la gloire, le glamour et la richesse, ne peuvent être que désenchantés. Moi je pense que la richesse et la célébrité ne changent pas profondément la vie, ça peut la pourrir parce que ça doit être chiant d’être célèbre ! J’ai pu avoir des petites déceptions sur certains films dont j’attendais plus, mais être dans un film décevant, c’est de bonne guerre, c’est la vie. Faire un film, c’est difficile, parfois les cinéastes les ratent. Et nous, on n’est pas toujours très bons. Mais ce métier ma clairement apporté plus de satisfactions que d’emmerdements.
Maintenant, comédien est mon métier, mais il m arrive de me dire que je ne ferais pas forcément ça toute ma vie. C’est très précaire, comme tous les métiers artistiques’. Et puis les acteurs viennent d’horizons très divers. Certains ont un parcours scolaire, le conservatoire, etc, d’autres deviennent comédiens par hasard, sur le tard, comme moi. On peut devenir comédien sans formation’, et il y a là quelque chose d’assez mystérieux. On ne sait pas trop ce qui fait un acteur, et c’est dans ce sens-là que je ne suis pas certain que ce soit un métier . Et puis c’est une pratique professionnelle qui n’a pas d’ancrage social, ce qui est assez troublant. J’ai fait d’autres métiers avant, je ne suis donc pas structuré par le statut d’acteur. Mais c’est vrai que quand on est acteur, on n’est nulle part socialement. Les réalisateurs font faire des essais non pas pour savoir si l’acteur joue bien, mais pour savoir qui ils ont envie de filmer : là-dessus, il n’y a aucune justice, c’est simplement une affaire de désir. C’est un métier irrationnel où il n’y a pas de critères solides, pas de diplôme possible, où il est difficile d’affirmer qui est bon ou pas.
Comment envisagez-vous le futur ?
Je ne planifie pas le futur. Il y a des complicités qui vont se poursuivre, avec Philippe Grandrieux, Gérard Mordillat Il y a évidemment des cinéastes avec qui on aimerait bien travailler, ce qui est une chose, mais c’est surtout avoir envie de rencontres, et ça, c’est impossible à planifier. Il y a juste la question du choix qui se pose, mais elle est ponctuelle et renouvelée à chaque instance. Je fais sûrement recevoir des propositions suite aux réactions de la presse sur Trois huit : mais le problème n’est pas de recevoir vingt scénarios, c’est d’en recevoir un bon.
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