Un portrait du grand footballeur bâclé et bourré de lieux communs dignes de pochetrons de bistrot.
Ce documentaire attendu est une grosse déception. Pourtant, entre le cinéaste aux multiples prix (dont deux Palmes d’or) et l’un des deux ou trois footballeurs du siècle (le “Pibe de oro”, le gamin en or), il y avait de quoi faire. Et on se retrouve avec un film décousu, ni fait ni à faire, un clip sur l’amitié entre deux révolutionnaires de café du commerce.
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Premier carton jaune, la faiblesse du film sur le Maradona footballeur. On voit peu le joueur de génie en action, si ce n’est à travers quelques montages clippeux de ses buts, c’est-à-dire en express, pixellisés, sans info ni contextualisation. La carrière de joueur est peu traitée, le film fait silence sur les années barcelonaises et ne propose aucune analyse sur ses qualités techniques ou tactiques. Sans doute soucieux de montrer d’autres facettes moins connues du joueur, Kusturica privilégie les séquences de Maradona chanteur (une purge), ou pire, de Maradona penseur et politologue. Emir et Diego partagent la même vulgate gauchisante selon laquelle tout est de la faute des Américains et des Anglais, tous les politiciens sont pourris, et vive Castro, le Che et Chavez. Politiquement, ce film est tout simplement pitoyable et la politique mérite mieux que ce sloganisme démagogique.
Reste la vie privée du joueur. Le film offre alors ses quelques rares lueurs intéressantes, quand Maradona avoue son sentiment de culpabilité par rapport à son rôle de père. Mais rien de précis sur la façon dont le gosse des bidonvilles est devenu footballeur, rien sur ses liens avec la Camorra au moment de son passage dans l’équipe de Naples. On aurait aussi aimé entendre des proches de Maradona parler de lui, comme son épouse ou ses filles, que l’on voit dans plusieurs plans mais qui n’ont manifestement pas droit à la parole dans ce film.
Il n’aurait pas été inutile non plus que Kusturica fasse un peu son travail de documentariste/journaliste (profession qu’il méprise) pour poser quelques vraies questions un peu dérangeantes, par exemple sur la contradiction entre les diatribes de Maradona sur l’argent et ses propres cachets de footballeur milliardaire. A la place, Emir nous balance des extraits de ses films, ses considérations oiseuses sur le tango, ses diatribes populistes contre les Etats-Unis, l’Occident ou les journalistes.
A un moment, Maradona explique que les Etats-Unis ne sont pas intervenus en ex-Yougoslavie et ont laissé volontairement ces peuples s’entretuer parce qu’ils n’avaient pas de pétrole. Plus loin, Kusturica critique l’intervention américaine contre la Serbie, omettant que cette intervention a permis de libérer Sarajevo, la Bosnie et le Kosovo du violent joug serbe. Ces contradictions, lieux communs, approximations et sentences de pochetron de bistrot occupent l’essentiel de ce film que l’on croyait consacré à un footballeur. Ajoutons que l’image est moche et le montage bordélique.
Kusturica n’a pas seulement foiré son portrait de Maradona. Il passe en contrebande un tract idéologique d’une grande faiblesse politique et conceptuelle. Maradona est un authentique héros populaire : il passe ici pour un bourrin de la rebelle attitude. Dans un rare moment de lucidité, Emir explique que quand on ouvre la bouche, c’est souvent pour dire des âneries. Dont acte, et carton rouge.
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