Une parade de freaks et de fous qui se transforme peu à peu en une danse des monstres intimes encore plus terrifiantes.
Les Ensorcelés de Vincente Minnelli, Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, Le Grand Couteau de Robert Aldrich, The Player de Robert Altman, etc. Même si Cronenberg prétend avoir fait un film réaliste,
Maps to the Stars appartient bel et bien au sous-genre très ancien de la satire hollywoodienne. Une satire grinçante, désopilante, déchaînée, et donc très plaisante, qui tranche par son côté franchement comique avec la rugosité et le huis clos volontairement théâtral de Cosmopolis, le précédent film du cinéaste canadien – même si l’on pouvait y rire à l’occasion.
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Julianne Moore, en star has-been, jalouse et capricieuse, au nom improbable (Havana Segrand), en fait des tonnes dans le genre actrice fêlée, mais ces tonnes sont à la fois très drôles et évidemment conformes
à une certaine vérité de l’hystérie contemporaine, où chacun de nos congénères apparaît peu ou prou comme un rival professionnel et intime en puissance.
La scène où Havana apprend qu’elle va finalement reprendre un rôle qui ne lui avait pas été attribué parce que le fils de l’actrice pressentie à eu un accident est tragiquement bidonnante (elle se désole pour elle au téléphone, puis jaillit tout heureuse dans le jardin en dansant). Sur le plan intime, Havana s’enverra sans tergiverser l’amoureux de son assistante (Robert Pattinson, très sobre). Moins pour le sexe que pour le plaisir de posséder ce qui n’est pas à elle. Pour salir la jeunesse.
Le Hollywood d’aujourd’hui est sans doute ainsi plus une métaphore bien chargée de notre monde occidental qu’un documentaire sur la Mecque du cinéma – et de la télévision, de nos jours. Il est décrit comme le paradis des adolescents rois, des imposteurs qui réussissent (John Cusack, coach sportif et auteur à succès de librairie, fait passer à Havana un toucher rectal pour un point d’acupuncture). Un monde où l’endogamie empêche les gènes de se renouveler, où le péché originel des uns se transmet à leurs descendants (c’est le message un peu lourdement biblique et moralisateur du film).
Et puis vient se greffer un personnage qui semble d’abord annexe, Agatha, qu’interprète merveilleusement Mia Wasikowska : une adolescente à la main et à la moitié du visage brûlées, qui revient à Hollywood comme
un soldat reviendrait dans son village après la guerre de Sécession. C’est ce personnage défiguré, porteur d’un secret de famille terrible, qui va précipiter le récit, le faire lentement glisser vers le drame, humaniser aussi des personnages qu’on sentait quand même un peu trop proches de la caricature et du théâtre de marionnettes. L’adolescente devient donc l’assistante personnelle de la terrible Havana Segrand, avec sa folie et ses excès. Et tout va bientôt partir en eau de boudin.
Toujours très tenu dans sa mise en scène, Cronenberg orchestre avec maestria son défilé de monstres plus fous les uns que les autres. On retiendra l’une des scènes d’humiliation les plus terrifiantes qu’on ait pu voir sur un écran : celle où Havana s’aperçoit soudain qu’Agatha a ses règles en découvrant une tache de sang sur son canapé blanc… Son beau canapé blanc tout taché !
Mais la levée de masques va révéler les fêlures profondes, les cicatrices que les personnages tentaient de cacher tout en les montrant à leurs proches. Car exhiber sa monstruosité sert aussi parfois à la cacher ou à en dissimuler une autre, bien plus terrible. Et l’être le plus antipathique de tous (l’ado odieux, cynique et antisémite), Benjie, le fils de Cusack, finira par prononcer la réplique la plus déchirante du film : “J’ai vécu combien d’étés ? Treize. C’est déjà pas mal.”
La Babylone moderne ne laisse pas beaucoup de place aux enfants “innocents”, qui ne l’ont d’ailleurs jamais été, déjà parasités par le mal que leur ont transmis leurs parents. Ils ont beau connaître par cœur le poème ultracélèbre de Paul Eluard (qui revient plusieurs fois dans le film), Liberté, ce mot semble avoir perdu toute valeur, tout sens. “Elle est où, la liberté ?”, semble demander David Cronenberg. Partie avec L’Eternité de Rimbaud, “la mer allée avec le soleil” ? Ou dans le ciel avec les étoiles qui brillent comme des idiotes au milieu du grand vide ?
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