Pour son premier long métrage, Mathieu Amalric aborde de front l’autobiographie. Passé par le tamis de la comédie familiale, un film drôle et émouvant. Où faut-il aller habiter quand on se retrouve entre ? Que ce soit entre deux amours, deux boulots, deux pays ou deux appartements, quand on est en transit. Chez ses parents, […]
Pour son premier long métrage, Mathieu Amalric aborde de front l’autobiographie. Passé par le tamis de la comédie familiale, un film drôle et émouvant.
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Où faut-il aller habiter quand on se retrouve entre ? Que ce soit entre deux amours, deux boulots, deux pays ou deux appartements, quand on est en transit. Chez ses parents, chez sa mère quoi (« Retourne chez ta mère ! », on connaît la chanson), réflexe premier, réflexe infiniment dangereux. C’est pourtant ce que fait le fils dans Mange ta soupe (injonction oubliée, vite réapprise), le premier long métrage de Mathieu Amalric. Il commet ainsi une erreur courante mais souvent fatale et provoque un excellent début de comédie. Sa valise à la main, en provenance de la lointaine Turquie, le fils prodigue trouve sa mère endormie, « Maman ? », pas de réponse, il sort, elle se réveille aussitôt (mais dormait-elle vraiment ?), avec dans les yeux une lueur inquiétante, celle qu’ont souvent les mères hitchcockiennes, même si celle-ci serait plutôt slave. L’heure des comptes a sonné, ça va chier. Et effectivement, ça chie, assez vite, c’est forcé.
Si on ajoute aussitôt que, non content de faire l’acteur chez Desplechin ou Dubroux, le dénommé Amalric est bel et bien le fils de son père et de sa mère, que ceux-ci sont des journalistes connus de nos services, qu’ils ont tous deux travaillé dans « un grand quotidien du soir », l’un comme éditorialiste (il interviewait Mitterrand, si), l’autre comme critique littéraire (rien de ce qui était russe ne lui était étranger), que certaines scènes ont été tournées dans les locaux dudit journal (notre confrère Frodon est formel, il a reconnu les ascenseurs), que tout ça fleure bon la douce rive gauche et les vieux restaurants du Quartier latin, on aurait l’air de sous-entendre que Mange ta soupe est une caricature de premier film français, de ceux qui se vautrent dans la plus lâche complaisance, et que le dossier de ce jeune homme est un peu trop chargé pour qu’on pense seulement supporter son autobiographie. Et on aurait tort. Vraiment tort. Car s’il ne cherche pas à cacher une seule seconde le caractère outrageusement personnel de son film, Amalric ne s’en contente pas, loin s’en faut.
A partir de ce matériau intime, il ordonne un récit qui ne cesse d’intriguer, jamais donné, jamais tout cuit, mais toujours très amusant à saisir. Et il fait preuve d’une belle habileté pour faire passer au moment juste l’information nécessaire, sans ostentation aucune, presque en sous-main. Une bonne partie du charme du film réside dans ce refus constant de l’exposition des faits ou des personnages. Ce que retrouve le héros, dans un mélange déjà ancien d’attendrissement et d’exaspération, c’est un territoire connu par coeur, un ensemble de situations qui peuvent encore connaître une petite évolution mais plus de changements radicaux. Il faut faire avec et limiter les dégâts, parvenir à conserver quelques équilibres fondamentaux, et éviter ainsi que les choses ne s’aggravent, mais sans avoir le moindre espoir de les réformer. De nouveau plongé dans les affres de la vie de famille, le fils adopte la position du jongleur : il va essayer de ne pas casser trop d’assiettes. Et c’est là que débute la comédie.
Dans cette maison peu à peu mangée par une accumulation démente de livres, il s’agit de pouvoir respirer, d’ouvrir la fenêtre tout en évitant le courant d’air qui attirerait les soupçons. Scènes tordantes où le fils indigne tente de désengorger l’espace en évacuant clandestinement quelques piles d’ouvrages. Mais personne n’en veut et le robinet des livraisons continue de couler. Bientôt, ce sera la mère elle-même qu’un rédacteur en chef irresponsable (pléonasme, j’en conviens) voudra renvoyer chez elle, au grand soulagement de ses collègues de bureau et au grand dam du fils qui n’en peut. Et quand la soeur en bonne voie d’hystérisation débarque avec son bébé, le cirque est au grand complet, la représentation finale peut commencer. Sans avoir l’air d’y toucher, avec une modestie apparente sans cesse contredite par l’inventivité des postures et le goût de la digression essentielle, Mange ta soupe travaille l’idée très moderne d’encombrement. Encombrement de livres sous lesquels la mère manque de périr, mais aussi encombrement de ce qui nous a été légué par nos parents, à la fois richesses infinies et obstacles infranchissables. Par exemple, c’est grâce à sa parfaite maîtrise du turc, langue que son originale de mère lui a fait apprendre, que le fils trouve du travail. Seulement voilà, ces jobs sont absurdes. Et ramènent droit à la case départ. Mais Amalric, lui, a réussi à s’échapper. Son film en est la preuve. C’est ce qui le rend si drôle et si émouvant. Le coup a dû passer près.
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