Son jeu et sa beauté irradient Peur de rien, le nouveau film de Danielle Arbid. Attendue dans le prochain Bonello, Manal Issa est la révélation de ce début d’année.
Quand on entend son nom, on pourrait la prendre pour la Joconde : Manal Issa, ça sonne presque Mona Lisa. A 23 ans, la Franco-Libanaise fait son entrée au cinéma dans le film autobiographique de sa compatriote Danielle Arbid. A travers le personnage de Lina, Peur de rien évoque l’arrivée de la cinéaste dans le Paris des années 1990, son vécu d’exilée sans papiers, ses premières expériences amoureuses et sexuelles, sa découverte de la France façon Lettres persanes.
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Un portrait de femme prenant à bras-le-corps sa vie et son émancipation, et qui a forcément résonné chez la jeune actrice. “Lina est différente de moi mais on a des points communs : on est sauvages, on n’a pas peur, on est libres. C’était facile d’imaginer Lina, et j’ai nourri le rôle en prenant aussi des trucs de Danielle. C’est un film qui ne juge pas. Il montre la France des années 1990, ses aspects positifs et négatifs, c’était comme un cours d’histoire pour moi.”
Etudes d’ingénierie
Si Manal Issa rayonne au centre d’un casting de choix (Vincent Lacoste, Damien Chapelle, Dominique Blanc, Paul Hamy…), elle ne se destinait pas spécialement à une carrière au cinéma. D’ailleurs, elle n’y croit toujours pas complètement et ne se voit pas encore comme une comédienne professionnelle. Actrice, c’était à ses yeux un statut irréel, lointain, un truc pour adultes. Elle n’était pas non plus cinéphile et à la place des habituels cours d’art dramatique, elle a suivi des études d’ingénierie, qu’elle entend poursuivre jusqu’à terme.
“Mon but n’est pas d’être actrice, c’est d’être heureuse. Je faisais mes études, et tout à coup me voilà actrice. Je ne m’y attendais pas… Maintenant, je me demande ce que je vais devenir : ingénieure, actrice, autre chose ? Je tiens à passer mon master, je ne peux pas rester à attendre un prochain film. Poursuivre mes études, c’est aussi peut-être une façon inconsciente de me protéger au cas où le cinéma ne m’appelle plus.”
Suite de hasards
En l’occurrence, le cinéma l’a déjà rappelée, par le biais de Bertrand Bonello, qui l’a engagée dans son nouveau film, Paris est une fête, dont le sujet est, disons, explosif (un groupe de jeunes qui posent des bombes dans Paris). Conseillée à Bonello par un acteur qui avait vu Peur de rien, Manal Issa estime que ce nouveau rôle résulte d’une suite de hasards : si l’acteur n’avait pas vu le film d’Arbid, s’il n’avait pas parlé à Bonello, si, si, si…
Peut-être, mais la voilà à l’affiche d’un des films les plus attendus de 2016, sous le regard d’un cinéaste au sommet de son art après L’Apollonide et Saint Laurent. “On a passé deux mois ensemble sur ce tournage, je ne sais pas ce que donnera le résultat. Si Danielle filme les acteurs de près, Bertrand les filme de plus loin, il fait des plans plus composés”, explique la jeune femme qui prouve ainsi que pour une débutante, elle saisit déjà la mise en scène de cinéma avec finesse.
Pour comprendre la réticence de Manal Issa à se considérer définitivement comme une comédienne, il faut peut-être aller voir du côté de sa biographie, à cheval sur l’Orient et l’Occident. Elle est née en France, a vécu dans un village du sud du Liban de 3 à 13 ans, puis a passé ses années de lycée et de fac à Angers. Aujourd’hui, elle vit à Beyrouth avec des amis de sa génération, la plupart syriens réfugiés au Liban, tous impliqués dans des activités artistiques et musicales.
“Je me suis mise à lire le Coran, pour comprendre, et j’ai fini par dire à mes parents que j’étais athée”
Cette double culture lui permet d’appréhender le monde contemporain avec acuité : “Le seul aspect positif d’un truc comme Daech, c’est que ça amène la jeunesse musulmane à réfléchir. Je me suis mise à lire le Coran, pour comprendre, et j’ai fini par dire à mes parents que j’étais athée. Beaucoup de jeunes du monde arabe, du moins ceux qui évoluent dans des domaines artistiques, se posent les mêmes questions et se détournent de la religion.”
A l’instar de Danielle Arbid et de la Lina du film, Manal Issa est à sa façon une rebelle dont la vie en France a accéléré la pulsion de liberté et d’émancipation. Elevée dans la religion musulmane, elle ne comprenait pas que ses camarades du lycée se roulent des pelles alors que la bienséance musulmane proscrit de s’embrasser publiquement.
“Réfléchir par soi-même”
On l’imaginait prudente sur ce terrain délicat, elle s’avère au contraire intarissable : “A un moment de ma vie, je n’ai plus accepté que tel ou tel dieu me dicte ce que j’ai le droit ou l’interdiction de faire, je me suis dit que j’étais libre. Ce n’est pas parce que je marche seule dans la rue que je suis une pute. Et pourquoi devrais-je épouser un cousin ? Et pourquoi obéir à Dieu comme un robot ? Réfléchir par soi-même n’est pas une malédiction, au contraire, c’est très bien.”
Elle affirme tout cela avec un sourire beaucoup moins mystérieux que celui de la Joconde. Le sourire franc et net d’une jeune femme qui mord dans la vie avec énergie et optimisme, qui tient à sa liberté de penser et d’agir, le sourire d’un être qui n’a en effet peur de rien.
Peur de rien de Danielle Arbid, avec Manal Issa, Vincent Lacoste, Dominique Blanc (Fr., 2015, 2 h) En salle le 10 février
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