Beauté convulsive. Un bel ouvrage est consacré aux films de Man Ray : un cinéma métaphorique, expérimental, mais aussi drôle, direct, riche en images ludiques de l’inconscient. A l’occasion de l’exposition sur Man Ray au Grand Palais, le Centre Georges Pompidou publie un ouvrage consacré à l’oeuvre cinématographique de l’un des photographes (et peintres) les […]
Beauté convulsive. Un bel ouvrage est consacré aux films de Man Ray : un cinéma métaphorique, expérimental, mais aussi drôle, direct, riche en images ludiques de l’inconscient.
A l’occasion de l’exposition sur Man Ray au Grand Palais, le Centre Georges Pompidou publie un ouvrage consacré à l’oeuvre cinématographique de l’un des photographes (et peintres) les plus connus de ce siècle. Présentant et analysant les films avec minutie, ce beau livre nous rappelle que le surréalisme au cinéma ne se résume pas au seul Buñuel.
En 1921, Tristan Tzara reçoit une lettre de Man Ray qui se désespère du peu d’intérêt rencontré par Dada à New York. Il signe sa lettre : « Man Ray, directeur du mauvais movies ». A cette date, Man Ray n’a que deux bandes à son actif : une baronne excentrique se faisant raser le pubis et un essai de cinéma en relief ; deux films perdus au développement, dont il reste quelques photos croquignolettes.
On connaît la phrase d’André Breton qui conclut Nadja : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas » et celle qui lui fait écho dans L’Amour fou : « La beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique- circonstancielle ou ne sera pas. » Man Ray, artiste dadaïste puis surréaliste, applique ce programme avec une foi inébranlable, non comme un dévot aveugle, mais comme un croyant voyant. Comme le Godard de la Lettre à Freddy Buache s’arrêtant sur le bord d’une autoroute pour filmer la lumière et rétorquant en substance à un policier suisse qui lui intime l’ordre de ne pas rester garé là, « Mais on est arrêtés sur la bande d’arrêt d’urgence, et il y a urgence ! », les surréalistes croient à l’énervement et à la célérité de la poésie, reconnaissent à la spontanéité un génie et une magie. Leur écriture est automatique, l’avenir, un présent impatient, la réalité à prendre hic et nunc. L’art se fait ici même dans une fièvre et un geste érotique et nonchalant à la fois. Dans la précipitation, sous une tension enfiévrée, on recherche le feu de l’action violente. Il ne s’agit pas de changer l’art, mais la vie, rien que ça.
Les films de Man Ray ressemblent à ce qu’ils sont souvent : le fruit du hasard, d’une commande ou d’une rencontre comme Buñuel et son Age d’or explosif, il bénéficia du mécénat enthousiaste et sympathiquement snobinard du vicomte de Noailles. Man Ray montre ses amis, fait tournoyer la lumière, floute l’image, s’amuse bien et déshabille les femmes les « siennes » : la mythique Kiki de Montparnasse, la fascinante Lee Miller… et les autres. Il n’a pas vocation de cinéaste et se sait incapable de se plier à la rigueur de l’industrialisation grandissante du 7ème art. L’échec du cinéma automatique tel que le concevait Man Ray était par conséquent écrit, parce qu’il ne supporte ni la préméditation ni la paperasserie. Buñuel, de son côté, allait tant bien que mal glisser ses obsessions dans la narration, avec malice et efficacité.
Aujourd’hui, les films de Man Ray (dont Le Retour à la raison, L’Etoile de mer, Les Mystères du château du dé), tous courts et bizarres, antipsychologiques, ressemblent à de l’avant-garde. On peut les trouver ennuyeux, esthétisants, intellectuels. Ce serait se méprendre. Man Ray ne veut faire ni des films abstraits ou expérimentaux (« Le cinéma abstrait n’a aucun avenir. L’influence du surréalisme sur le cinéma est inévitable ; il le sauvera peut-être de la nullité de l’abstraction et de la banalité de la technique du bon sens », déclare-t-il en 1936) ni des films tentant d’imiter la réalité (« Toute forme d’art qui tend vers une plus grande fidélité de reproduction de la réalité ou à la confusion avec celle-ci est un art inférieur »), mais des films inspirés et convulsifs (« Je crois encore en un sourire facile qui illumine le monde et j’ai pour ambition de donner une impression de production colossale en une heure de travail par jour »). La réalité et le rêve mêlés, tout le reste n’a pas d’intérêt. Les effets lumineux et optiques pour la plupart que l’on trouve dans ces films ne sont pas pour Man Ray des trucages, mais des images brutes et ludiques de l’inconscient. C’est un cinéma certes métaphorique et métonymique, mais aussi direct, naïf et drôle.
En artiste moderne, Man Ray détestait l’instrument dont il se servait. En surréaliste, il rêvait d’un cinéma total (en relief, odoriférant, etc.), si indissociable du réel qu’il aurait poussé le spectateur à sortir de la salle et à lui préférer la vie, ou même à confondre sa vie avec ses fantasmes. Son ambition de cinéaste filmer sans caméra avait ce seul but : rendre vain le cinéma, que la vie fût, grâce à l’art, enfin aussi belle que l’art.
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