Les Malheurs de Sophie revisité par Christophe Honoré dans un conte initiatique fougueux.
Après son adaptation contemporaine d’Ovide, Métamorphoses, qui emmena son cinéma sur un terrain fantasmagorique débridé, Christophe Honoré change radicalement de style avec Les Malheurs de Sophie, sa première incursion dans le registre du film pour enfants.
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Une transition assez surprenante et pourtant logique dans la carrière du réalisateur, tant il a depuis longtemps témoigné d’un goût pour la fiction jeunesse (il est l’auteur de romans destinés aux kids) et d’une capacité à sauter d’un genre à l’autre sans souci de distinction, filant de la fresque romanesque chantée (Les Bien-Aimés) à la love story porno-art (Homme au bain) avec un sens de la réinvention expérimentale et une curiosité uniques dans le cinéma français.
Clins d’œil à la Nouvelle Vague
Librement adapté de l’œuvre de la comtesse de Ségur, son nouvel opus rejoue les fameuses aventures initiatiques de la turbulente Sophie, ses bêtises, ses petites joies, ses épiphanies, et son douloureux apprentissage de l’âge adulte.
Ce qui frappe d’emblée dans ce conte pour enfants, dont l’intelligence et la sensibilité ringardisent la production mainstream abrutissante adressée à un public jeune (Le Petit Nicolas, Les Profs et autre Guerre des boutons), c’est la manière dont Honoré respecte le cahier des charges du genre tout en restant fidèle à son imaginaire, ses fétiches, déjouant les pièges de l’adaptation impersonnelle.
Citations et clins d’œil furtifs à la Nouvelle Vague, fulgurances picturales empruntées aux grands maîtres romantiques (une splendide scène de naufrage façon Géricault), moments chantés disséminés en marge du récit, où se déploie la grâce naïve des compositions pop d’Alex Beaupain : le cinéaste décline à nouveau ses repères formels, comme revitalisés par la jeunesse et la fougue de ses personnages.
Déchirure irréparable
Le temps d’une première partie enlevée, il retrouve également ce qui fait le prix de ses meilleurs films : une croyance absolue, presque candide, dans les forces de la fiction. Ici, chaque microévénement de l’enfance – dispute familiale, facétie entre filles et jeu de cache-cache – est traité comme un enjeu dramatique majeur, un défi existentiel que le cinéaste restitue avec une vivacité ardente.
Honoré trouve dans ces Malheurs de Sophie la plus juste formulation du motif qui obsède depuis toujours son cinéma : le deuil, la disparition, cette déchirure irréparable qui hantait Les Chansons d’amour et Homme au bain.
Le crépuscule de l’enfance
Le second mouvement du film, qui voit Sophie désormais orpheline abandonnée à une belle-mère acariâtre (Muriel Robin), se teinte ainsi d’une coloration plus amère et grave, saisissant le crépuscule de l’enfance, la fin d’une utopie joyeuse et hédoniste.
Il faudra alors pour la jeune héroïne s’éteindre un peu, devenir responsable, épouser les normes du monde adulte, mais sans jamais céder sur ce qui fait la belle singularité des personnages d’Honoré : l’enthousiasme, l’allégresse, cette infime pulsion de vie qui résiste à l’absence et au chagrin.
Les Malheurs de Sophie de Christophe Honoré (Fr., 2016, 1 h 43)
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