Le cinéaste creuse sa veine expérimentale dans un film noir fantasmé, suave et morbide.
Dans une époque indéterminée, un type à l’accent étranger, Lenz, cherche une certaine Madeleine, une ancienne amoureuse disparue mystérieusement. Au cours de sa quête, qui le mène dans un Paris fangeux et irréel, circonscrit à quelques tripots enfumés, caves, hangars, appartements vides et forêts dangereuses, il fait la connaissance d’une autre femme, Hélène, une belle infirmière aux tentations autodestructrices. Entre eux naît un amour pur, intense, sur lequel plane la menace d’une secte adepte de snuff movies et de sadomasochisme.
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A ce pitch labyrinthique, il faudrait encore ajouter une vague histoire de père tyrannique, une piste de polar bis, le portrait d’une chanteuse désœuvrée et d’autres délires qui constituent la toile de fond du nouveau film de Philippe Grandrieux, Malgré la nuit. Plutôt inhabituel chez l’auteur-plasticien, dont l’œuvre rêveuse, inaugurée en 1998 avec l’épatant Sombre, s’épanouissait jusqu’ici dans un dénuement total, ce foisonnement narratif n’est en réalité qu’un pur prétexte.
Tableaux à la puissance figurative inouïe
Déstructurée, malmenée, réduite à quelques archétypes, l’intrigue agit ici en pointillé, dans un flux d’images incessant où Grandrieux poursuit son idéal de cinéma comme expérience du sensible, assemblage composite de plans, de sons, d’ombres et de lumière organisant ses visions-cauchemars. Et le réalisateur n’avait jamais paru aussi inspiré, aussi maître de ses effets. Usant de flous, zooms, ralentis et tremblés, il capture la beauté nue de ses actrices (Ariane Labed, Roxane Mesquida) dans des tableaux à la puissance figurative inouïe, qui puisent leur inspiration dans les messes noires de Bill Viola, les photos défoncées d’Antoine d’Agata ou les délires organiques de David Cronenberg.
Huit ans après la splendeur apaisée d’Un lac, la mise en scène de Grandrieux retrouve ici la furie, l’état de panique des débuts, et se déploie pleinement à la faveur de scènes de baise et de torture qui brouillent la frontière entre érotisme et morbidité, caresse et morsure. Le plan final, une magnifique étreinte SM saisie à la lueur d’un flash dans une cave, résume à lui seul le projet du film : malgré la nuit, malgré la souffrance et le vacarme, la beauté finit toujours par advenir dans le petit monde hanté de Philippe Grandrieux.
Malgré la nuit de Philippe Grandrieux (Fr., 2015, 2h28)
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