Armée de sa caméra DV, la comédienne réussit un premier film semi-autobiographique sur ses blessures d’enfance. Vif et amusant.
On a connu l’actrice dès sa petite enfance, lorsqu’elle jouait Isabelle Adjani à 5 ans dans L’Eté meurtrier, déjà l’histoire d’une jeune fille qui souffrait de ne pas être aimée par son père. Cette demande d’amour insatisfaite, Maïwenn le Besco en a d’abord fait un spectacle, Le Pois chiche, où elle exposait le détail de ses souffrances d’enfant : la violence de son père, le transfert narcissique de sa mère.
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Pour se conformer à ce qu’elle suppose être le désir maternel, Maïwenn est devenue actrice (comme plus tard sa soeur cadette Isild), dans d’assez mauvais films, et une série télé de M6, La Famille Ramdane, qui a fait de la gracieuse adolescente une figure populaire. A 16 ans, elle suspend sa carrière d’enfant vedette pour partir aux Etats-Unis au bras de Luc Besson. C’est en se découvrant auteur qu’elle redevient actrice. D’abord dans Le Pois chiche, qui obtient un vif succès au Café de la Gare, et maintenant avec son premier film de réalisatrice, Pardonnez-moi, un nouveau jeu de massacre familial, filmé en DV avec des comédiens en impro, et une vraie bonne surprise.
Entretien > A qui s’adresse la demande de votre titre, Pardonnez-moi, et qui la formule ?
Maïwenn – En fait, c’est un titre qui est venu très tard. Au début, je voulais que le film s’intitule Résilience, mais au bout d’un moment j’ai trouvé ça prétentieux. “Pardonnez-moi » me semblait résumer tout le film. La phrase peut être prononcée par le personnage que je joue, Violette, en s’adressant aux gens qu’elle filme. Mais aussi par chacun des deux parents à leurs enfants. J’ai essayé “Pardonne-moi », mais ça devenait trop la parole du père. Je préférais que ce soit plus ouvert.
On peut imaginer que c’est aussi vous qui vous excusez d’avance auprès du spectateur de parler à ce point de vous, de vos secrets de famille, de vos angoisses…
J’aimais bien qu’on puisse penser ça aussi. Mais à vrai dire, quand j’ai fait le film, je ne m’adressais à personne, puisque je l’ai produit dans un premier temps seule, sans production, sans même savoir s’il sortirait. J’avais juste envie de le faire. Point. J’étais seule, je me faisais plaisir, je ne pouvais pas culpabiliser.
Comment avez-vous attiré des acteurs connus sur un projet sans production ?
J’avais souscrit une assurance-vie, il y a dix ans. Mon argent avait fructifié. Je l’ai transféré sur le compte d’une société que j’ai créée pour le film. J’ai commencé le montage toujours avec mes fonds propres, et je n’ai montré le film à une production qu’après avoir en monté 25 minutes. Les acteurs qui jouent dans le film m’ont dit oui, parce qu’ils avaient lu le scénario. Ils m’ont fait confiance. Mais beaucoup d’autres ont refusé, ils ne comprenaient pas le projet, ne voulaient pas travailler en impro.
Le film poursuit-il le travail autobiographique que vous avez entamé avec votre spectacle autobiographique présenté il y a quelques années au Café de la Gare, Le Pois chiche ?
Non, ce n’est pas pareil. Le spectacle était tiré de choses vraies, à peine exagérées parfois. Le film part davantage dans la fiction. J’ai utilisé des faits réels, essentiellement ma relation avec mon père, et puis j’ai mis tous mes fantasmes. Les autres membres qui composent la famille sont des personnages inventés.
Le générique de début défile sur la chanson Trois petites notes de musique d’Yves Montand, qu’on entendait tout au long de L’Eté
meurtrier (1983), qui est aussi votre premier film, où vous interprétiez Isabelle Adjani à 5 ans.
Franchement, ça m’embête qu’on se souvienne de ça ! Je n’avais aucune envie de faire référence à L’Eté meurtrier, même si j’adore le film pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le fait que j’y ai joué.
L’interview de vous enfant qu’on voit dans Pardonnez-moi vient d’où ?
D’un casting que j’ai passé à 10 ans. J’étais interviewée par le cinéaste et je me souvenais d’un dialogue très intime, très poussé. Je voulais récupérer cette cassette, mais quand j’ai fini par y parvenir, mon film était monté.
Quand je l’ai vue, l’usage que j’allais en faire était évident. J’étais heureuse
d’avoir retrouvé ces images parce que c’était un cadeau du ciel pour nourrir le sujet de mon film, et en même temps ça m’a inspiré une grande tristesse.
Parce que tout à coup je lisais entre les lignes de ce que je disais enfant, je retrouvais toutes mes souffrances…
Vous étiez déterminée pour une petite fille. Vous refusez de répondre à la question de ce qui vous rend triste. Lorsque l’intervieweur vous dit “Quand vous serez actrice… », vous répondez avec beaucoup d’aplomb : “Mais je suis actrice. »
Je sais que cette réplique fait rire, mais moi, elle ne me fait pas rire. Parce que j’y vois la demande terrible d’être aimée de ma mère, qui voulait que je sois
actrice. Pour moi, rien n’était plus important. Je ne me sentais aimée que si je réussissais un casting. Je me suis rendue compte à 25 ans que ça avait été insupportable.
Mais est-ce que ce n’était pas aussi votre désir ?
A un moment donné, la manipulation de ma mère a marché. J’ai pris du plaisir à être actrice, le désir sera toujours là. Je ne peux m’empêcher de me sentir flattée quand on me propose un rôle, et je sais que c’est parce que ma mère sera fière de moi. Je rejette ça, mais j’en ai besoin, c’est contradictoire. Mais aujourd’hui, c’est beaucoup plus important pour moi de réaliser des films.
Votre personnage, Violette, dit que ça n’aurait pas de sens de faire le film qu’elle veut avec des acteurs, mais ce film-là, vous le faites vous. Pourquoi cette fausse mise en abyme ?
Je crois que je n’ai pas eu le courage de faire le film de Violette. Mon fantasme aurait été de faire un documentaire avec les vraies personnes dont je parle… J’adorerais comprendre ce qui s’est passé avec ma famille. Et une caméra
est le bon outil, ça reste, ça fait des souvenirs, des preuves, en tout cas à un moment donné. Mais je n’ai pas eu les couilles de le faire.
Et vous ne pensez pas que le film est mieux avec une part de fiction, de trompe-l’oeil ? Le film de Violette est hystérique, mais votre film laisse la possibilité de trouver cette fille vraiment exaspérante.
Je voulais que le spectateur puisse se dire que tout ce qu’elle croit, que son père la battait, ne l’aimait pas, était faux. Il fallait que quelque chose la ramène à la réalité. Du coup, son copain est un peu le seul personnage qui a la tête froide et qui permet qu’on porte un regard plus distant sur toute cette histoire où la vie
et le cinéma se mélangent.
Les films Dogma ont-ils été une inspiration pour vous ?
Pas directement. Festen a été un choc quand je l’ai vu. Mais à l’époque, je ne pensais pas du tout que j’allais réaliser un film sur ma famille. En revanche, quand j’ai commencé à préparer Pardonnez-moi, j’ai décidé de revoir Festen pour m’inspirer de l’ambiance. Mais de toute façon, avant de tourner, j’ai vu énormément de beaux films. Je n’ai pas une grande culture cinéphile, alors j’ai eu envie de faire du bourrage de crâne, d’avaler des chefs-d’oeuvre
en très peu de temps, en me disant “peut-être qu’il en sortira quelque chose ». J’ai revu Festen, Magnolia, Tarnation… J’ai découvert Scènes de la vie conjugale de Bergman. J’ai vu aussi des Godard, mais ça m’a plutôt fait chier. Moi, je vais tout le temps au cinéma et je peux aussi bien aimer La Doublure de Francis Veber que les frères Dardenne, le film de Guillaume Canet et celui de Michel
Gondry… Je trouve qu’il faut être éclectique.
Vous pensez réaliser un second film ?
Oui, je ne crois pas être la réalisatrice d’un seul film. Je suis en train d’écrire le prochain.
Toujours sur la même histoire ?
Je pars plutôt ailleurs, mais ce n’est pas impossible qu’il y ait à nouveau quelques touches sur ma famille. Cette fois, j’ai envie de parler des acteurs, de leur sensibilité, leur fragilité, leur lâcheté… Mais toujours avec la même méthode : beaucoup d’impros, et laisser de la place à l’inattendu.
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