[Un autre regard #16] Nouvel épisode d’Un autre regard, notre chronique qui appréhende l’actualité du cinéma du point de vue des inégalités, des stéréotypes et des mutations de genre.
Avec son adaptation de “Maigret”, Patrice Leconte réanime l’image nostalgique d’une France sexiste et patriarcale.
L’an passé Bac Nord marquait le triomphe du genre policier comme vecteur d’une vision de l’existence droitière, autoritaire et brutale, tout en rétablissant un monde sans femme (cela va parfois de pair). Nos trois flics cultivaient un subtil entre-soi masculin. Tandis que les femmes (Adèle Exarchopoulos, enceinte s’il vous plaît) avaient droit aux scènes de barbecue familial. Le polar de Patrice Leconte est, pour le dire élégamment, la version néoclassique d’un sexisme identique. Certes, son Maigret-Depardieu est aussi affaissé que nos aimables ripoux de la BAC étaient bodybuildés. Et son rapport à l’époque semble aussi distendu et désabusé que le film coup de poing de Cédric Jiménez se voulait une missive musclée envoyée à notre société vérolée, selon lui, par la violence accrue des cités. Pour cela, on préférera toujours le nihilisme crépusculaire d’un cinéaste à la fraîche arrogance de son cadet.
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Et cependant ces deux-là ont en commun l’absolue condescendance que leurs films nourrissent à l’égard des femmes. Si Jiménez est adepte d’un nettoyage par le vide (chez lui, pas ou peu de rôles féminins), Leconte joue à l’inverse la carte de l’abondance. L’enquête de son Maigret sur le meurtre d’une jeune fille dans le Paris des années 1950 libère un cortège de silhouettes sexy – copines, rivales – que le vieux commissaire toise d’un œil éteint mais que chaque plan détaille avec gourmandise.
Jeu de dupes
En équilibre sur cette crête indécise entre aveu d’impuissance et convoitise, Maigret dessine un deuxième groupe archétypal composé de femmes plus âgées, forcément des mères toxiques et des concierges acrimonieuses. Mais la misogynie du film ne tiendrait pas si bien debout sans son aplomb paternaliste – l’enquêteur voit sa fille morte partout –, auquel se mêle un brin de concupiscence (jeune fille qu’on couve du regard comme son enfant, après trois plans de sous-vêtements en dentelle séchant négligemment sur une corde à linge). Le grand malentendu de ces scènes repose sur leur fourberie : Leconte veut faire le portrait d’un type qui a renoncé à tout, mais il ne parvient pas à tenir sa caméra affolée par le moindre cul qui passe. Conscient de cela, Maigret aurait pu être une intéressante enquête de la vieillesse sur la jeunesse. Mais il préfère se cacher derrière un plantureux bloc patriarcal, alias Gérard, plutôt que d’en sonder les faiblesses.
À ce jeu de dupes, les femmes sont toujours perdantes, inventées ici pour flatter et renforcer les fondations de ce héros fantoche. L’exhumation en 2022 du flic créé par Simenon ne répond en effet peut-être qu’à un seul et inconscient désir : ressusciter, le temps d’un film, une France nostalgique à la papa où les maris allaient au turbin pendant que leurs épouses préparaient le gigot à la maison, où les jeunes filles exhibaient leur jarretière, ravies à l’occasion de se prostituer ou d’être taillées en pièces – où chacun·e, en fin de compte, avait sa place.
À sa sortie, Bac Nord a fait l’objet d’une récupération politique, adoubé par Marine Le Pen. Pas difficile, hélas, d’imaginer à qui Maigret pourrait plaire.
Maigret de Patrice Leconte, en salle le 23 février
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