Cinéaste anglais prétentieux dont on n’attendait rien, Mike Figgis nous bluffe par son adaptation incandescente de Mademoiselle Julie de Strindberg. On allait voir ce film à reculons, sachant qu’il s’agissait : 1. d’une adaptation théâtrale, genre casse-gueule s’il en est, 2. d’un film de Mike Figgis, dont le récent La Fin de l’innocence sexuelle, divagation […]
Cinéaste anglais prétentieux dont on n’attendait rien, Mike Figgis nous bluffe par son adaptation incandescente de Mademoiselle Julie de Strindberg.
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On allait voir ce film à reculons, sachant qu’il s’agissait : 1. d’une adaptation théâtrale, genre casse-gueule s’il en est, 2. d’un film de Mike Figgis, dont le récent La Fin de l’innocence sexuelle, divagation biblico-boursouflée, nous a laissé un souvenir nauséeux. Or, miracle, en adaptant Mademoiselle Julie, pièce célèbre de Strindberg, le sieur Figgis se révèle un cinéaste tout à fait respectable, sinon inspiré, et un remarquable directeur d’acteurs. Bonne surprise à mettre d’abord au crédit de l’August Strindberg, dont la pièce, datant de 1888, reste d’une étonnante modernité. Cela ne retire évidemment rien au mérite de Figgis, qui a su porter à son paroxysme la folie froide et brûlante de cette histoire à trois personnages. Malgré des tendances lelouchiennes (caméra virevoltante) heureusement contenues et une incongrue séquence en split-screen, la mise en scène dépouillée, qui respecte la règle des trois unités classiques (lieu, temps et action), n’est pas étrangère à la force brute du film. L’action se déroule pendant la nuit de la Saint-Jean, dans l’immense cuisine d’un manoir suédois. Pendant que les domestiques festoient à l’extérieur restant la plupart du temps hors champ , un valet de pied, Jean, entame avec mademoiselle Julie, comtesse « borderline », comme on dit aujourd’hui, une dévastatrice joute amoureuse qui aboutira au pire. Bravades, insultes, gifles, accouplement brutal, toute la gamme et toutes les figures de la passion hard y passent, se mêlant à une réflexion amère sur l’inégalité des classes. Ce qui fascine, c’est l’ambivalence insondable des personnages de Julie et de Jean contrairement à la cuisinière, Christine, qui incarne le bon sens. Nous sommes constamment désarçonnés. Julie aime-t-elle Jean ou cherche-t-elle à s’humilier par masochisme ? Jean éprouve-t-il le moindre sentiment pour Julie, la hait-il, ou bien ne voit-il en elle qu’un instrument de son ascension sociale ? C’est là où les comédiens sont formidables, dans cette capacité à exprimer autant de sentiments contradictoires dans un seul regard, une seule réplique. Pourtant, au premier abord, ils ne paient pas de mine : Saffron Burrows qui, malgré un visage lisse d’ex-mannequin, montre une étonnante capacité à se défaire, à se consumer graduellement sous nos yeux ; et Peter Mullan, l’ex-prolo de My name is Joe de Loach, qu’on voit mal, avec son accent écossais à couper au couteau, en larbin stylé et pervers, compose un personnage d’une complexité rare. Il n’y a pas à tortiller, en cette période de vaches efflanquées, ce film est une excellente nouvelle.
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