En salle cette semaine, « Triangle » rassemble derrière la caméra d’un même film trois immenses maîtres du polar de Hong Kong. L’occasion d’un entretien triple.
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Comment est né et a évolué ce projet qui vous a réuni tous les trois autour d’un même film, Triangle ?
Johnnie To : (désignant Tsui Hark) L’idée vient de lui ! C’est par lui que cela a commencé.
Tsui Hark : Nous sommes partis sur l’idée d’inventer les personnages en premier, afin que leur caractérisation appelle le choix d’un acteur pour chacun d’entre eux. Puis nous avons défini le principe d’un film dont chacun réaliserait un tiers sans interférer dans les parties respectives des autres, mais avec strictement la même équipe technique, à l’exception des scénaristes – nous avons chacun travaillé avec notre propre scénariste. J’ai commencé à écrire une histoire que Ringo Lam devrait poursuivre une fois que j’aurais fini, et puis ensuite cela a été au tour de Johnnie To de composer le dernier tiers du film.
Ringo Lam : Tsui Hark avait posé les trois personnages à sa manière et il m’est ensuite revenu de choisir celui qui m’intéressait le plus dramatiquement. J’ai choisi le personnage de Simon Yam, qui me semblait avoir le plus de profondeur et de potentiel émotionnel. C’était pour moi l’outil pour exprimer ce que j’avais en moi, sans savoir où irait le film après ma partie, ni ce qui arriverait à ce personnage.
(A Tsui Hark) Avez-vous été surpris par le tour qu’a pris entre les mains de vos partenaires le film que vous aviez initié ?
Tsui Hark : J’ai conçu des personnages et un problème. Evidemment il a été passionnant et surprenant pour moi de voir ce que Ringo Lam et Johnnie To en ont fait. Par ailleurs, l’une des dimensions intéressantes que recouvrait le film tenait aux rapports propres que nous entretenions chacun aux personnages. Une personne n’est jamais seulement une surface univoque, c’est une large de part de mystérieux, de réactions imprévisibles à ce que la vie sème sur notre route. Nous emparer chacun successivement de nos trois personnages permettait de les éclairer de lumières très différentes, et de construire pour eux un registre de comportements complexe. C’est un véritable bienfait pour la dimension dramatique du film.
Ringo Lam : L’amitié, combien cela coûte-t-il ? Difficile à dire. Le film parle de ça. Les trois personnages trouvent un trésor, et leur amitié s’en trouve mise au défi. A partir de là, quand les choses empirent, l’amitié se renforce-t-elle ? Voilà notre histoire et ce dont j’ai parlé dans mon segment.
Avez-vous défini ensemble le registre dans lequel s’inscrirait ce film qui ressemble visuellement beaucoup aux polars hongkongais old school ?
Tsui Hark : Pour ma part, je n’attendais qu’une chose de mes camarades, qu’ils produisent quelque chose de très différent de ma partie. Nous n’avons jamais tenté d’uniformiser nos styles. Nous voulions juste laisser l’histoire se développer d’elle-même et les personnages se révéler à force de surprises et de développements inattendus.
Comment voyez-vous chacun le style de vos partenaires s’exprimer dans ce film ?
Tsui Hark : En fait, parler d’un style défini serait impropre à notre démarche, car nous avons en commun tous les trois de ne jamais nous tourner vers les films précédents. Nous n’avons pas la nostalgie de notre carrière passée. Lorsque j’ai commencé à travailler sur ma part de Triangle, c’était dans l’idée de fabriquer quelque chose de nouveau, que je n’avais jamais essayé auparavant. Je n’ai pas de film préféré parmi ceux que j’ai réalisé, je considère mes films comme mes petites-amies : c’est toujours celui en cours que je préfère.
Ringo Lam : Moi non plus je n’ai pas de film de Tsui Hark préferé, il y en a trop ! (rires) Et il serait absurde de vous dire que j’aime ceci ou cela chez Johnnie To, ou que je lui envie tel style qu’il a forgé dans un film, car plus rien n’est original dès lors que c’est formulé. Je fais mes films avec mon cœur, dans l’idée d’apporter quelque chose de nouveau en suivant mon instinct pour développer mes personnages et le reste suit. Je vois mes personnages comme des personnes que je viens de rencontrer, comme vous par exemple. Je m’intéresse à vous, je me demande quelles sont vos contradictions, vos conflits internes, et j’essaie à travers cela de percer un peu de ce mystère qu’est la vie. Quand j’ai réalisé ma partie, j’étais comme fou de ne pas savoir quel sort Johnnie To allait réserver à mes personnages.
Faut-il voir une sorte de symbole à ce que vous réunissiez vos forces pour faire ce film alors que le cinéma de Hong-Kong est en crise ?
Ringo Lam : Ce film était mon premier à Hong-Kong depuis très longtemps. Ils ont réussi à me convaincre de revenir parce qu’il ne s’agissait de tourner que trente minutes de film ! (rires) J’ai participé à Triangle parce que ces cinéastes qui m’entourent sont mes amis, et c’était l’occasion de réunir nos idées et se rapprocher les uns des autres. Je pense qu’après ce film je peux comprendre Tsui Hark et Johnnie To dans la manière de penser et travailler bien plus que jamais auparavant.
Tsui Hark : On peut voir Triangle comme un ensemble de propositions que nous adressons aux cinéastes de Hong-Kong. C’est la raison pour laquelle nous avons tous cherché à inventer quelque chose de neuf, avec nos sensibilités et nos manières respectives, sans chercher à uniformiser le style de l’ensemble.
Johnnie To : Pour moi c’était surtout un plaisir. Malgré mon agenda chargé, me voilà en train de parler, boire et fumer le cigare avec ces deux amis à longueur de journées. Cela dit, il m’a fallu mettre une fortune sur la table pour cela…
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