Un très beau conte sur l’éducation et la pédagogie à travers le portrait d’une professeure dotée d’une étrange puissance.
S’il est bien quelque chose qu’on ne peut dénier au cinéma de Serge Bozon (Mods, La France, Tip top et aujourd’hui Madame Hyde), c’est son originalité, et même son originalité humoristique. Un personnage principal aussi timide, fragile, quasiment resté enfant comme madame Géquil (Isabelle Huppert a obtenu le prix d’interprétation féminine pour ce rôle incroyable au dernier festival de Locarno), professeur de physique et de mathématiques ( ?) dans une filière technique, rabrouée par tous (élèves, collègues, inspecteurs), on n’en avait jamais vu comme cela.
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Un mari “au foyer” devenu aussi fade à force d’attention enamourée à l’égard de son épouse comme monsieur Géquil (José Garcia) ou un proviseur de lycée de banlieue farfelu, faux-cul, et pourtant si réaliste comme Romain Duris (avec sa grande mèche de cheveux et son langage politiquement correct), on n’en avait jamais vu non plus au cinéma. Arrêtons-nous là, rien ni personne n’est banal, convenu, “cliché” dans Madame Hyde. Et pourtant tout est vraisemblable.
De cette nouvelle adaptation du célèbre court roman de Stevenson, L’Etrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, Bozon et sa scénariste Axelle Ropert tirent une fable merveilleuse sur l’éducation, la transmission dans notre monde contemporain, si brièvement et brillamment saisi. L’élève le plus insoumis de madame Géquil, Karim, est atteint de troubles moteurs et ne peut se déplacer sans son déambulateur. La nuit, des jeunes le harcèlent et le maltraitent, pour rire. Mais Karim va se révéler doué pour la logique mathématique, et quand madame Géquil est foudroyée dans son laboratoire-Algeco lors d’une nuit d’orage, désormais dotée d’un survoltage fantastique, elle traverse l’obscurité, toute lumineuse, et va sauver son protégé. En toute vraisemblance.
Un échange de forces vives, des vases communicants, comme dans la cage de Faraday que madame Géquil, désormais libérée, fait construire par ses élèves, voilà comment est décrit le passage de connaissances entre un professeur et son élève et le plaisir que peut en tirer le professeur – et c’est discrètement déchirant. Madame Géquil devient une bonne prof aux yeux de son administration, enfin.
Stevenson ne racontait pas l’histoire d’un dédoublement de personnalité, mais l’impossibilité de dissocier un individu. Même en Hyde, Jekyll survivait et vice versa. Ils étaient indissociables. Le Dr Jekyll ratait son expérience, Madame Géquil en sort grandie, enfin unie.
Madame Hyde de Serge Bozon, avec Isabelle Huppert, Adda Senani, Romain Duris, José Garcia (Fr., 2018, 1 h 35)
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