Gros muscles, grosses moustaches, un vengeur chicanos surgit dans une comédie parodique très réjouissante.
On connaît bien évidemment les héros nationaux (Jeanne d’Arc, Guillaume Tell, Davy Crockett…), ou les héros régionaux (chaque village a son saint) : personnages a priori réels entrés dans la légende et bien arrangés par elle.
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Mais il existe aussi des héros de fiction communautaires, dont le plus célèbre est sans doute Shaft, le premier détective afro-américain inventé au début des années 1970 et héros de la blaxploitation.
C’est à cette catégorie que vient s’ajouter le personnage imaginé aujourd’hui par le réalisateur et producteur Robert Rodriguez (El Mariachi, Sin City) : Machete, ou le vengeur de la communauté chicana (ces Américains d’origine mexicaine).
Machete – c’est ce qui le rend sympathique – est né un peu par hasard, dans une fausse bande-annonce (soit nulle part) insérée par Robert Rodriguez entre les deux films Grindhouse produits par son ami Quentin Tarantino et lui-même, Planète terreur et Boulevard de la mort. Machete (on le surnomme ainsi en hommage à son arme de prédilection, bien sûr) devient aujourd’hui le héros d’un vrai long métrage, et c’est une bonne nouvelle.
Car ce héros-là a de la santé, de l’humour, de l’allant. Machete, ex-federales de la police mexicaine dont la femme a été atrocement assassinée sous ses yeux, est un superhéros de pacotille qui a les traits burinés et ravagés de Danny Trejo, cousin de Robert Rodriguez, un ex-taulard et junkie.
Agé de 66 ans, il a longtemps joué les brutes dans des films d’action et possède une musculature et une tignasse de catcheur assez impressionnantes. Machete ne s’encombre pas des théories guerrières de Clausewitz ou de Sun Tzu : il pense peu mais agit beaucoup (il envoie des textos, aussi), fonce dans le tas, découpe tout le monde en rondelles, puis s’en va.
Il a aussi une certaine forme d’imagination, puisqu’il n’hésite pas, quand le besoin s’en fait pressant, à utiliser l’intestin grêle d’un de ses adversaires pour faire de la varappe.
Alors Machete, oui, est un film d’action parodique (d’ailleurs très drôle), comme Rodriguez et Tarantino les aiment. Où les filles, plus belles les unes que les autres (Jessica Alba et Michelle Rodriguez), se montrent très sensibles à la plastique du héros, mais n’ont pas non plus l’intention de se laisser faire (dès la première scène, une bomba latina en tenue d’Eve plante un coutelas dans la cuisse de Machete puis extirpe un téléphone de son intimité pour appeler son chef – le délicat Steven Seagal). Où la violence prend de telles proportions qu’elle en devient, qu’elle doit en devenir, comique.
Mais c’est dans sa dimension politique totalement manichéenne que le film devient grand et profondément jubilatoire. Il y a d’un côté les bons Mexicains exploités, maltraités, tués comme des cafards, et de l’autre les hommes politiques américains ultraréactionnaires et cruels, pourvus de toutes les perversions : incestueux, drogués, alcooliques et obsédés par la pureté de leur race.
Rodriguez, sans crainte ni honte, ridiculise les wasp, prend le parti des pauvres et des honnis. Les méchants, les autres, sont parfaits dans leur genre, puisqu’on a confié leurs rôles à Robert De Niro et Don Johnson. Plus vrais que nature, ils en font certes des tonnes, mais ils sont désopilants et puérils, avec leur manie des armes à feu ou des sabres japonais. Rodriguez ne respecte rien. En confiant le sort des siens à un abruti total, il renouvelle le plaisir du guignol ; tout cela n’est pas bien sérieux, mais ça fait tellement de bien que l’on aurait tort de se gêner.
Mais Machete est un peu plus que cela, il bénéficie d’un supplément d’âme qui le démarque de ses congénères. Parce qu’au-delà de son personnage, vengeur de toutes les injustices que subissent ses compatriotes, Rodriguez, avec une finesse (si, si) qu’on ne lui connaissait pas, attaque les Etats-Unis là où ça fait mal : dans leur mythologie symbolique, dans leur imagerie même.
Machete se trouve à un moment contraint de commettre un attentat contre un homme politique du haut d’un building. Evidemment, on veut abattre aussitôt Machete, et l’on reconnaît immédiatement le schéma de l’attentat contre Kennedy, scène traumatique et séminale qui, comme l’ont montré nombre de théoriciens, apparaît en filigrane dans le cinéma américain au début des années 1970. C’est au cœur, tout près du cœur, que Rodriguez titille l’Amérique, avec fougue et tendresse.
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