Sorti le 7 février, Inland Empire a dérouté son monde : critique partagée, public tiédasse. Peut-être que dans l’esprit de David Lynch, la seule façon de succéder à Mulholland Drive était de tester les limites de l’acceptable et de plonger corps et âme dans un film-monstre : geste magnifique où un créateur n’obéirait plus qu’à […]
Sorti le 7 février, Inland Empire a dérouté son monde : critique partagée, public tiédasse. Peut-être que dans l’esprit de David Lynch, la seule façon de succéder à Mulholland Drive était de tester les limites de l’acceptable et de plonger corps et âme dans un film-monstre : geste magnifique où un créateur n’obéirait plus qu’à la logique de ses pulsions profondes, faisant fi des règles commerciales et des supposés désirs du public.
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Mais cette hypothèse se fissure face à une deuxième vision du film : non, Lynch n’a pas fait n’importe quoi. Au cours de ce replay, on voit plus clairement se dessiner le récit d’une actrice qui, suite à un rapport sexuel adultérin, retourne vers le passé de sa conjugalité problématique et de sa sexualité, on distingue mieux le statut des personnages secondaires, on comprend mieux la place narrative et symbolique de la sitcom lapinesque (programme TV et condensé minimaliste du film), on relie mieux les scènes entre elles, on réalise que le début annonce le programme du film entier.
Certes, certains passages semblent encore obscurément lynchiens ; les ordres du vécu et du fictionné, du passé et du présent, les strates diégétiques se mélangent, mais ni plus ni moins que dans la vie, les pensées de chacun et l’inconscient. La première vision d’Inland… est une expérience de la pure sensation, la seconde, un éclaircissement. Finalement, Inland Empire ne constitue pas une si grande rupture dans la filmo de Lynch, mais s’enroule, avec son récit de femme terrorisée/fatale et ses sutures invisibles entre imaginaire et réel, dans le ruban nous conduisant en rewind vers Mulholland Drive, Lost Highway, Blue Velvet ou Eraserhead, Laura Dern devenant ici en quelque sorte la Isabella Rossellini saccagée de Blue Velvet.
Après le coup de froid Inland…, le coup de chaud The Air Is on Fire : présence de la presse internationale, émeute le soir du vernissage, l’expo à la Fondation Cartier semble être partie pour être le must culturel de ce printemps. Comme Godard, Akerman et un peu à la manière de Varda, Lynch déplace son imaginaire pluridisciplinaire vers le musée. N’étant pas historien d’art, je ne saurais définir la “valeur” de Lynch à la bourse de la peinture et de l’art contemporain. Mais connaissant un peu le travail du cinéaste, je peux dire que The Air Is on Fire ouvre diverses portes d’accès à l’imaginaire lynchien, éclairant les zones d’ombre entre les films, en accentuant les motifs et thèmes récurrents (le sexe, la beauté du laid, la curiosité pour le monstrueux, la transformation organique, la circulation entre les mondes, etc), continuant le cinéma par d’autres moyens.
Inland Empire rime avec The Air Is on Fire, déployant un univers cohérent et mystérieux, poétique et brutal, recyclé et inventé, qui continue de nous questionner et de nous fasciner, de proliférer en puissantes métastases sous nos sens ébahis.
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