Sexualité trouble, angoisse et mutilation : le cinéaste expose une oeuvre protéiforme imprégnée des thèmes récurrents présents dans ses films.
Qui connaît les films de David Lynch ne sera pas trop dépaysé par The Air Is on Fire. A travers peintures, aquarelles, collages, photos, sculptures, dessins, croquis, notes griffonées, musique, installation, accrochages, nous sommes conviés à une promenade dans les arcanes de l’imaginaire lynchien, imaginaire à la fois protéiforme et remarquablement cohérent. Les tableaux de Lynch se distinguent par une thématique déjà récurrente dans ses films : la sexualité associée au mal, que celui-ci prenne la forme de mutilations, de corps transformés, de métamorphoses, de cris, d’angoisse, de meurtre.
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La matière des tableaux est épaisse, parfois en relief, divers matériaux, objet, bouts de photos, se mêlant à la peinture. Des dialogues apparaissent sur certaines des toiles, de même qu’un personnage récurrent nommé Bob, apparentant ces tableaux aux épisodes d’une série, aux cases d’une BD ou aux images arrêtées d’un film. La nudité transformée et tendant vers la monstruosité est aussi l’objet de la plupart des photos, qui font partie d’une série intitulée Distorted Nudes.
Si la photo, la BD, le cinéma se mêlent aux tableaux, la peinture ou le trucage numérique se mêlent aux photos, le tout renvoyant à des images fortes ou à des motifs récurrents de ses films (des femmes terrorisées, une sexualité maladive ou déclenchant la malédiction…) : ces rimes entre les différentes œuvres et catégories dessinent un David Lynch en perpétuelle disposition créatrice et dont l’imaginaire circule d’un mode d’expression à l’autre, sans hiérarchie, de la même façon que ses films nous emmènent à l’aventure d’un monde à l’autre dans un mouvement potentiellement sans limites. Cette circulation est parfaitement concrétisée dans une autre partie de l’expo : sur un mur, une toute petite aquarelle représentant un living-room ; en face, le même living-room, grandeur nature, conçu, peint et designé entièrement par Lynch.
A la fois ludique et flippante, cette installation en écho résume l’un des principes fondamentaux de la manière Lynch : la circulation fluide entre les univers, les images, la réalité, la fiction, le rêve éveillé, l’inconscient. Une salle est consacrée aux brouillons lynchiens : esquisses, dessins, croquis, mémos, notes griffonnées sur des cahiers, des bloc-notes d’hôtels, des napperons de restaurant, et même des sacs à nausée Air France ! Lynch a tout gardé, tout recyclé. Si cette partie-là relève plus du document que de l’œuvre, elle est passionnante en ce qu’elle nous donne un petit aperçu sur le processus créatif de l’artiste, sur la façon parfois aléatoire dont il gère et sélectionne les milliers d’infos reçues quotidiennement et qui aboutiront peut-être à une œuvre.
Des sculptures mi-abstraites, mi-figuratives balisent le parcours. Sur l’une d’elles, au bout de ce qui ressemble à un phallus en érection, un petit bouton rouge : vous appuyez, cela déclenche dans toute l’expo une musique ambient sourde, du genre de celles qui bourdonnent dans ses films. On ne terminera pas sans signaler que la scénographie et l’accrochage (sur de lourdes tentures, elles aussi figures récurrentes de sa filmo, qu’elles cachent une scène de théâtre ou un corridor vers un lieu secret ou interdit) sont aussi signés David Lynch. Un artiste total, intuitif, qui refusera une fois de plus, après la visite, de livrer les passages mystérieux entre cet homme à l’apparence si courtoise, si radieuse, et son œuvre hantée par une sexualité violente, angoissante, morbide.
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