À l’occasion de la sortie de “La Place d’une autre” ce 19 janvier dans les salles, rencontre avec une jeune actrice au visage d’ange et aux yeux brillants.
Lyna Khoudri est une jeune femme fraîche et enjouée, élégante. Elle va avoir 29 ans mais on se dit qu’elle pourrait sans problème jouer le rôle d’une adolescente, avec son visage à l’ovale parfait comme celui des “angelots qu’on voit dans les églises d’Ombrie”, comme le disait Marcello Mastroianni de la jeune serveuse du restaurant de la plage de Fregene, dans La Dolce Vita de Fellini.
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Avant l’interview, elle a préparé tout le matériel pour être le plus à l’aise possible et ne plus avoir à bouger (nous sommes chez elle, à Clichy) : cigarettes, briquet jaune, cendrier, chocolat à l’emballage violet pour elle, chocolat de la Maison du chocolat pour l’hôte (moi) si jamais il se décide (mais je resterai stoïque), tasse de café jaune, produit dérivé charmant de The French Dispatch. Nous voilà prêts. Elle sourit. Elle sait qu’elle aime bouger, me dis-je.
Il était une fois…
Je lui explique que je l’ai entendue trois heures plus tôt sur France Inter, dans l’émission de Nagui, et que je n’ai plus de questions à lui poser, puisqu’elle a tout dit : ses parents algériens, son père journaliste politique, sa mère prof de violon, contraints de quitter l’Algérie en 1994 (Lyna n’a que deux ans) parce que son père est menacé par les islamistes. En France, il est obligé de vivre de petits boulots. Lyna en a parlé sur France Inter, mais elle tient à ajouter que son père a souffert de ce déclassement. Que c’est pour cela qu’un jour il est reparti en Algérie.
Elle me raconte aussi la découverte du théâtre et de l’histoire de l’art au lycée d’Aubervilliers, de ses profs – même si ses parents étaient très cultivés – qui lui ont fait découvrir un monde nouveau, une découverte qui l’a décidée à devenir comédienne, au grand dam de ses parents – mais Lyna a du caractère. Jusqu’au jour où elle a réussi le concours d’entrée au théâtre national de Strasbourg, ce qui les a rassurés.
Ensuite, il y a eu la télévision, puis le cinéma, des petits rôles, des moyens, puis le César du meilleur espoir féminin pour son rôle dans le très beau Papicha de Mounia Meddour (qui reçut celui du meilleur premier film), en 2020, et qui avait été présenté dans la section Un Certain Regard quelques mois plus tôt. Un César qui lui a soudain ouvert beaucoup de portes, a attiré la lumière sur elle.
Mais bon, je sais tout cela, mais je ne sais évidemment pas tout, je mens un peu, j’aimerais lui faire parler de sa façon de jouer dans ce beau film, La Place d’une autre d’Aurélia Georges qui sort ce 19 janvier, le premier où elle joue une jeune femme plutôt inhibée, qui cache ses sentiments, et pour cause : elle a pris l’identité d’une autre (ce qui est mal, je vous le dis). N’est-ce pas une vraie évolution, une nouveauté ? Oui.
“Comme actrice, au théâtre encore plus qu’au cinéma, d’ailleurs, j’ai toujours eu un jeu plutôt expressif. J’adore crier un texte, le déclamer, lui donner sa force poétique et politique. Là, effectivement, mon jeu est plus rentré, et c’est ce qui m’intéressait.” Elle parle de l’exigence qui fut celle d’Aurélia Georges sur le tournage, qui parfois lui fit répéter vingt fois la même réplique pour qu’elle sonne juste.
Lyna Khoudri a souvent joué dans des films où la politique était très présente – même si nous sommes bien d’accord pour dire que “tout est politique” : la guerre d’Algérie dans Qu’un sang impur… d’Abdel Raouf Dafri, la guerre civile en Algérie dans les années 1990 dans Papicha, le malaise d’une famille d’Alger après la guerre civile dans Les Bienheureux de Sofia Djama.
Les Sauvages, la série de Rebecca Zlotowski, raconte l’histoire d’un arabe qui devient président de la République (Roschdy Zehm) ; La place de l’autre parle de la condition féminine, mais aussi des frontières entre les classes sociales. Hasard ? Je pose la question à Lyna Khoudri. Quant à Gagarine, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, qui vient de remporter le Lumière du meilleur premier film décerné par la presse étrangère (ce qui le met en bonne position pour remporter un César), il raconte l’histoire de jeunes gens qui refusent de voir détruit leur HLM de banlieue.
Mais Lyna Khoudri préfère le mot “engagé” à celui de “politique”. Il y a quelques semaines, à Yann Barthès qui lui demandait dans Quotidien ce qu’elle pensait de Zemmour, elle avait répondu : “Vous ne voulez pas qu’on parle des gens qui apportent de la lumière, plutôt ?” Elle me dit qu’elle n’a pas la télévision, qu’elle fuit au maximum les buzz du jour, et qu’elle s’en porte très bien. Évidemment que la politique l’intéresse, mais pas la politicaillerie. Elle m’explique que déjà adolescente, elle faisait partie des associations les plus vives de son quartier. Ça fait partie d’elle, de sa vie, l’engagement.
Lyna me raconte aussi le tournage incroyable de The French Dispatch, qui restera un souvenir inoubliable. Les acteurs, français ou anglo-saxons, vivaient tous à Angoulême. “On dînait, on déjeunait tous ensemble, comme une vraie troupe, avec les anciens (Bill Murray, Milena Canonero, cheffe costumière qui a souvent travaillé avec Kubrick, Coppola, etc.), les moins âgés (Owen Wilson, Frances McDormand, Tilda Swinton, etc.), les plus jeunes (Timothée Chalamet, Léa Seydoux…)”. Wes Anderson, ce “grand timide”, avait l’air très heureux lui aussi. Une vraie troupe de saltimbanques.
Depuis, elle a tourné dans le prochain film de Rachid Bouchareb, Nos frangins, qui raconte la mort de Malik Oussekine, tué par la police pendant les manifs étudiantes de 1986. Elle y joue sa sœur et Reda Kateb leur frère. Lyna m’explique qu’elle fut très fière que Bouchareb fasse appel à elle, et on sent qu’elle l’a vécu comme un honneur.
Indigènes, Hors-la-loi, sont des films qui ont énormément compté pour elle. Elle découvre Indigènes, qui raconte l’histoire de soldats issus des colonies pendant la Seconde Guerre mondiale, en compagnie de son père – elle a 14 ans. “C’est le moment où mon grand-père a commencé à toucher sa pension d’ancien combattant… C’est un grand monsieur, Rachid Bouchareb. Il m’a téléphoné, et je me disais : ‘Pourvu qu’il m’appelle pour me proposer un rôle. Et oui.’” Les yeux de Lyna brillent, maintenant. Et ce n’est pas rien, les yeux brillants d’une actrice promise à un avenir qu’on pressent tout aussi brillant.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Morain.
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