Alors que « Nocturama » de Bertrand Bonello sort cette semaine, retour sur le terrorisme au cinéma avec ses inextricables dilemmes moraux.
Nocturama de Bertrand Bonello, sorti la semaine dernière, n’est évidemment pas le premier film de l’histoire du cinéma à aborder la question du terrorisme ou des attentats. Le cinéma a souvent filmé le terrorisme, pour des raisons d’abord spectaculaires : le terrorisme étant par définition source de bruit, de violence, de suspense, le cinéma d’action ou d’espionnage en ont fait leurs choux gras. Mais d’autres cinéastes ont abordé le terrorisme parce qu’il pose des questions morales.
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La question de la lutte armée revient régulièrement dans l’Histoire, dans des régions géographiques diverses. La grande question qui se pose est toujours : à partir de quand se justifie-t-elle ? Peut-elle seulement se justifier ? Les Français du début des années 40 de L’Armée des ombres de Jean-Pierre Melville, qui luttent par les armes contre l’Occupant nazi, et les Algériens de la fin des années 50 de La Bataille d’Alger de Gilo Pontecorvo, ont été considérés par les pouvoirs en place de l’époque comme des terroristes, alors qu’ils sont aujourd’hui communément admis comme des résistants et des héros. Qu’est-ce qui donne le droit de tuer un autre être humain, sinon le sentiment que rien d’autre ne peut faire cesser l’injustice et abattre la tyrannie ?
Les films de fiction sur le terrorisme ou plus largement sur la lutte armée mettent souvent en scène le dilemme et la contradiction fondamentale qui écartèlent les soldats de l’ombre : leur rêve d’une société meilleure qui passerait par l’annihilation de ses pires représentants. Mais peut-on construire le bonheur des uns sur la mort des autres ? La violence n’appelle-t-elle pas indéfiniment à la violence ? Etc. Comme on le constatera dans ces quelques films, les cinéastes se contentent la plupart de poser ces questions sans chercher à y répondre.
Agent secret (Sabotage), d’Alfred Hitchcock (1936)
Hitchcock fait du suspense avec l’explosion d’une bombe. Un gamin se met en retard avec l’engin explosif qu’un terroriste lui a confié, il explose avec le bus dans lequel il se trouvait. Comme souvent au cinéma, les motivations du chef de la bande ne sont pas clairement explicitées.
Assaut, de John Carpenter (1976)
Très inspiré par Rio Bravo de Hawks, le film de Carpenter est quasiment un film de zombies : à Los Angles, des terroristes veulent tuer tout le monde pour une raison qu’on ne connaîtra jamais… Ils s’attaquent à un commissariat de police. Assaut où le terrorisme aveugle et absolu : le nihilisme.
https://youtu.be/BaJR2zlnp7o
La troisième génération, de Rainer Werner Fassbinder (1979)
Tourné en pleines années de plombs, après qu’en 1977 le patron des patrons allemand, Hanns-Martin Schleyer, a été enlevé et exécuté par des membres de la Fraction Armée Rouge, le film de Fassbinder est le film d’un cinéaste inspiré mais dérouté, qui comprend parfaitement (et pour cause) que les jeunes terroristes de la bande à Baader agissent ainsi parce que la société de la République Fédérale d’Allemagne, forgée par leurs parents, vit toujours dans le déni du nazisme (Schleyer avait été un nazi notoire). Mais leur idéalisme ne les mènent-ils pas trop loin ? On remarquera que Fassbinder n’hésite pas une seule seconde à traiter d’un sujet extrêmement brûlant, ni à montrer que la police est capable de tout, y compris de manipuler des jeunes gens pour les pousser à tuer et à se discréditer. Fassbinder, qui stylise sa mise en scène, décrit ironiquement le film comme une « comédie en six parties ».
https://youtu.be/tDdIlmf32b0
Münich, de Steven Spielberg (2006)
Après la prise d’otages meurtrière des JO de Münich en 1972 par Septembre noir, le gouvernement israélien prend la décision de confier à un commando la charge d’éliminer les responsables de l’attentat. Le terrorisme institutionnel, celui des services secrets des pays, ici en l’occurrence le Mossad (Israel). Ou comment un pays démocratique peut utiliser les mêmes méthodes que les terroristes qui l’attaquent. Le paradigme flic/voyou trouve son miroir dans celui de terroriste/contre-terroriste.
Carlos, d’Olivier Assayas (2010)
Raconter la vie du célèbre terroriste Carlos (de son vrai nom Ilich Ramírez Sánchez) est l’occasion, pour le scénario d’Olivier Assayas, de décrire la terrifiante collusion entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite dans les années 70, avec pour point commun l’antisémitisme, pour des raisons souvent opposées. Un film qu’on peut rapprocher de L’avocat de la terreur, le documentaire de Barbet Schroeder sur l’avocat Maître Vergès.
24h chrono, série créée par Joel Surnow et Robert Cochran (2001-2014)
Sans doute la série matrice de toutes les séries télé américaines sur le terrorisme (genre Homeland), avec l’idée que Kieffer Sutherland n’a qu’une journée pour sauver tout le monde. Le terrorisme, ici, sans être un prétexte, est plus un moteur narratif qu’un réel sujet. C’est l’incarnation du mal.
Buongiorno Notte, de Marco Bellocchio (2003)
En 1978, en Italie, le président du parti Démocrate Chrétien, Aldo Moro, est enlevé par les Brigades Rouges, qui entendent ainsi empêcher un compromis historique avec le Parti Communiste. Ils exigent la libération de certains de leurs camarades emprisonnés en échange de sa survie. Cinquante-cinq jours plus tard, après l’avoir « jugé », ils l’exécutent. Marco Bellocchio donne sa version de l’affaire, en prenant des pincettes, en imaginant des rêves, en montrant les doutes de certains des membres du commando.
United red army, de Kōji Wakamatsu (2007)
Un long film, semi-documentaire et semi-fictionnel, sur la dérive sectaire et le passage à la lutte armée du groupe d’extrême gauche de l’Armée rouge unifiée, dans les années 70 au Japon. Un récit qui se termine un hui-clos étouffant, avec règlement de comptes idéologiques et scènes d’autocritiques. La révolution selon Wakamatsu se termine toujours mal : par le règne de la Terreur.
Night Moves, de Kelly Reichardt (2013)
Le terrorisme vert. Là encore, comme chez Bellocchio au fond, Kelly Richardt laisse le spectateur et surtout le sens en suspend. Que veut-elle dire ? On y voit en tout cas toute l’ambivalence des terroristes, dont les motivations varient entre positions intellectuelles et politiques, et d’un autre côté leur personnalité, leurs sentiments. Si Jesse Eiseinberg passe à l’action, c’est sans doute aussi parce Dakota Fanning ne lui est pas indifférente.
Taj Mahal, de Nicolas Saada (2015)
Un soir, à Bombay, une jeune fille, restée seule dans la suite de ses parents au Taj Mahal Palace, entend soudain des bruits d’explosion. Des terroristes sont en train d’attaquer l’hôtel et tirent sur tout ce qui bouge… Sa seule arme ? Son téléphone. Taj Mahal est en quelque sorte l’inverse de Nocturama de Bonello, puisqu’on ne voit jamais les terroristes : on ne fait que les entendre.
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