L’œuvre d’Ang Lee a ceci de particulier qu’elle dessine une trajectoire d’une grande amplitude, couvrant aussi bien les territoires du blockbuster d’action (Hulk), du film à oscar (Le Secret de Brokeback Mountain) que du cinéma indépendant à moyen budget, alternant qui plus est les productions américaines et asiatiques. Polymorphe, extrêmement mobile, cette œuvre n’en est […]
L’œuvre d’Ang Lee a ceci de particulier qu’elle dessine une trajectoire d’une grande amplitude, couvrant aussi bien les territoires du blockbuster d’action (Hulk), du film à oscar (Le Secret de Brokeback Mountain) que du cinéma indépendant à moyen budget, alternant qui plus est les productions américaines et asiatiques. Polymorphe, extrêmement mobile, cette œuvre n’en est pas moins extrêmement têtue, insistante, voire monomaniaque dans ce qu’elle raconte. A savoir, pour aller vite, que la vie est avant tout une affaire de double jeu. Double jeu du jeune Sino-Américain homosexuel qui fait croire à ses parents ses prochaines fiançailles avec une fille, double jeu des cow-boys mariés du Secret de Brokeback Mountain, et double je de Hulk, sujet splitté, mi-homme, mi-géant vert.
Cette obsession du placard, cette façon obsédante d’envisager la vie comme un agencement de secrets et de mensonges sont plus que jamais à l’œuvre dans Lust, Caution (Lion d’or à Venise en septembre). Le récit déroule la lente machination d’un groupuscule d’étudiants shanghaiens. Désireux d’œuvrer à la libération de leur patrie, ils fomentent l’attentat d’un milicien chinois collabo, le cruel Mr. Yee (Tony Leung, qui vire par ailleurs et de façon assez inattendue au sosie de Richard Berry). La jeune Chia-chi pénètre le cercle de mahjong de l’épouse de Lee, séduit celui-ci et doit, tel un appât, le jeter dans le filet de ses camarades pour qu’ils l’abattent.
Le sel du récit est d’ordre sexuel : la duplicité de l’intrigante et sa détermination politique sont mises à l’épreuve par l’énorme satisfaction érotique que lui procure ce sale type, spécialisé dans la torture, mais dont le sadisme, transposé sur la petite scène de l’alcôve des amants, devient soudainement un atout appréciable. Le film en rajoute dans la goujaterie scénaristique et frôle le comique involontaire en choisissant pour point de bascule dans la culpabilité de la manipulatrice le moment où elle reçoit une somptueuse bague en diamants (c’est bien connu, aucune femme ne résiste aux gros carats). Peut-être aurait-il fallu l’insolente santé et la goguenardise salace du Verhoeven de Black Book pour transformer en conte moral cinglant ce drame historique aux ressorts boulevardiers.
Ang Lee œuvre dans le mélodrame empesé, avec pour seul point de vue un fatalisme résigné. On ne peut rien contre l’amour, on ne peut rien contre l’histoire et c’est bien triste… Le film enfile les perles, dans une surenchère décorative (découpage chochotte, festival d’inserts) qui réduit toutes choses (sentiments, acteurs-personnages) à l’état de bibelots. Fondé sur un flash-back aussi inutile qu’alambiqué, très précieux mais très peu précis, Lust, Caution s’avère incapable de cerner ce point où tout se trouble, et échoue totalement à incarner ce qui aurait dû être son seul sujet : l’ambiguïté.
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