La Quinzaine des réalisateurs présentait « L’Usine de rien » du Portugais Pedro Pinho, film politique et poétique qui pourrait être une 1002ème nuit de Miguel Gomes.
A l’instar des 1001 Nuits de Miguel Gomes, mais aussi cette année de 120 Battements par minutes de Robin Campillo, L’Atelier de Laurent Cantet ou L’Assemblée de Mariana Otéro, L’Usine de rien marque le retour dans le cinéma de ces vastes abstractions ou généralités que sont le peuple et la politique, deux idées si difficiles à incarner dans un film.
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Immersion dans le collectif ouvrier
Chez Pedro Pinho, tout commence quand des ouvriers découvrent sans avoir été prévenus qu’on déménage les machines de leur usine – on se croirait chez Guiraudie, l’humour en moins. Grève, occupation des locaux. On voit beaucoup cela dans les journaux télévisés, mais pas comme dans un film, pas avec le regard de Pinho : immersion dans le collectif ouvrier, paroles et débats, rôles ambigus des syndicats, contradictions à surmonter, courage physique, colère rouge vif, toutes les nuances traversant un groupe qui défend son gagne-pain et sa dignité s’impriment à l’écran avec une force jamais austère ou ennuyeuse. Bien que clairement rangé du côté des ouvriers, le film est politiquement très fin, montrant les partisans de l’autogestion, ceux qui s’estiment collectivement incapables de faire tourner l’usine sans le concours de cadres comptables, ceux qui n’ont pas le luxe de se perdre en palabres ou en grève trop longue parce que leur urgence est de faire croûter leurs mômes…
https://www.youtube.com/watch?v=1VSNbef0jTg
L’Usine de rien exsude une intense mélancolie
Puis au bout d’une heure et quelque, le film prend un peu la tangente vers des registres hétérogènes, s’attarde sur un jeune couple dont la libido est en panne à cause de la situation, fait des embardées vers la comédie musicale (on pense encore à Mariana Otero et à Entre nos mains, doc sur une usine en difficulté qui se terminait en chanson), embarque pour une virée étrange sur un fleuve dont les berges abritent des autruches (toujours très bizarrement cinégénique, la tête d’une autruche), s’étourdit dans les bars aux sons de chansons populaires ou de punk hardcore, alors qu’un intellectuel observe la situation de l’usine et de ses salariés en posant divers diagnostics philosophiques ou politiques. Gomesien, godardien, L’Usine de rien exsude une intense mélancolie, celle du sentiment de la fin d’un monde, mais aussi la beauté de la solidarité des perdants de l’histoire qui n’acceptent pas que le vieux rêve ne bouge plus.
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