Toujours paradoxal, Reygadas tente d’acclimater le drame nordique au Mexique. Idée peu opérante, malgré quelques éclairs de beauté documentaire.
Jusqu’à maintenant tout allait bien, Reygadas mélangeait tout : le primitivisme, la laideur, le sexe, la violence, la musique religieuse, et Dieu dans tout ça… C’était un vrai baroque, le fils spirituel d’Arturo Ripstein, le petit-fils de Buñuel. Les personnes de bon goût détestaient son obscénité mêlée de rédemption, taxaient le cinéaste de maniériste, précieux, pompeux, pompier. Ces excès kitsch nous comblaient, même si le cinéaste avait une tendance à surjouer son ascétisme du plan-séquence. Mais avec Lumière silencieuse, on ne marche plus. Reygadas ne sait plus où il est, ni qui il est, en mettant en scène une histoire retenue dans un univers puritain ; celui des mennonites, secte protestante germano-néerlandaise, disséminée en îlots autarciques à travers le monde – y compris au Mexique où le film est situé. Exotisme total : voir ces cow boys nordiques en territoire aztèque est fascinant. Pour le reste, on ne comprend pas le ton retenu du film, qui tourne autour d’un adultère mal digéré par ses protagonistes – transgression minime par rapport aux précédents films de Reygadas. En filmant une communauté originaire d’Europe du Nord, il semble avoir voulu calquer le cinéma de cette région : psychologie, dilemmes infinitésimaux, intimisme, douleur, sentiments rentrés. Cela paraît arbitraire, voire factice. Par ailleurs, Reygadas a eu la mauvaise idée de copier la fin d’Ordet de Dreyer : le miracle de la résurrection de la femme du héros. Hélas, d’une part, cette fin n’a pas de force émotionnelle dans le contexte, et d’autre part, elle fait dire que Reygadas imite Dreyer. Or, le reste du film n’a rien à voir avec Ordet – dont le sujet est la croyance et la puissance de la parole (“ordet” signifie le verbe), alors que Lumière silencieuse repose sur l’articulation entre monde réel et sentimentalité. Certes, dans Lumière silencieuse, Reygadas semble trop appliqué. Il cadre ses plans avec une symétrie implacable, exagère sans raison la durée de ses travellings avant, porteurs d’une menace gratuite. Mais cela fait partie de son système un peu naïf. Cela n’empêche pas le film d’avoir d’indéniables qualités documentaires (cf. le bain des enfants dans la piscine). Des scènes qui n’ont rien de dreyerien ni de bergmanien sont splendides en soi (celle où Johan tourne en rond avec son auto en chantant à tue-tête une chanson mexicaine). Finalement, ce qu’on reproche à Reygadas, c’est son formalisme. Ce n’est pas une raison pour rejeter son cinéma, qui n’a rien de honteux ni de négligeable.
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