Double actualité pour le délégué général du Festival de Cannes Thierry Frémaux : sorties d’un livre et d’un film composé à partir de vues des frères Lumière.
Comment fait-il ? Piloter le paquebot Cannes, l’Institut et le festival Lumière, racheter des salles, présenter des films, mener une vie de famille, bambocher avec ses amis et trouver encore le temps d’écrire un livre de six cents pages. Par son engagement total, son abattage et son panache, Thierry Frémaux tient un peu de deux de ses idoles, le boss Springsteen et le cannibale Merckx.
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Dans Sélection officielle, le journal qu’il a tenu de fin mai 2015 à fin mai 2016, il dit (presque) tout de la fabrication cannoise, déroulant comme un thriller la phase brûlante janvier-avril où il visionne (avec ses comités) 1 869 films, reçoit les pressions plus ou moins amicales du tout-cinéma mondial, compose patiemment ses sélections avec peu de certitudes et beaucoup de doutes, gère les relations avec le vaste salon de quelque 1 800 refusés…
Au fil des pages, ce superdiplomate du cinéma dresse quelques portraits inspirés de figures plus ou moins célèbres du métier, de Catherine Deneuve à Pierre Rissient, de Pascale Dauman à Martin Scorsese. Le diariste tutoie aussi l’écrivain quand il décrit une déambulation “porteña” dans Buenos Aires ou une nappe de brouillard dans le Vercors.
Cinéphile oecuménique
Le livre démontre par ailleurs que l’épicurien Frémaux sait aussi griffer, notamment ceux qu’il désigne comme la critique “moderne” (les guillemets sont de lui), à savoir Le Monde, Libération et parfois Les Inrocks, leur reprochant par exemple de s’aligner sur la doxa moderniste quand ils rendent hommage pour leur disparition à Chantal Akerman ou Jacques Rivette. Objection : on n’en fait jamais trop quand deux cinéastes aussi essentiels décèdent !
Ces agacements “antimodernes” sont néanmoins panachés de paragraphes favorables à l’engagement de la critique et à la nécessité du débat. Tout au long du livre, ce fils de la revue Positif clame son admiration pour Godard, Truffaut, Daney, Léaud, autant de figures de la famille Cahiers, et sélectionne régulièrement des auteurs chéris par les journaux qu’il égratigne (Kiarostami, Desplechin, Bonello, Weerasethakul, etc).
En vérité, Frémaux est un cinéphile œcuménique, un héritier de Langlois, Chardère ou Jacob, un poursuivant de la belle tradition des cinémathèques et des ciné-clubs qui programment, montrent, préservent, transmettent et, dans cette mission, il est digne d’éloges.
Genèse du cinéma
Il a ainsi créé cette grande fête cinépatrimoniale qu’est le festival Lumière, essaimant le goût et la connaissance du cinéma jusqu’aux confins des banlieues lyonnaises. Et quand il n’est pas mobilisé par Cannes, son livre montre qu’il est toujours prêt à prendre son vélo, sa voiture ou un avion pour présenter des films. Il irrigue ainsi partout dans le monde le corpus originel des Lumière, dont 108 vues composent Lumière ! – L’aventure commence, qui sort en salle.
On a déjà tout dit de la beauté bouleversante de cette genèse du cinéma lors de la parution du DVD, mais c’est juste encore mieux sur grand écran et dans une pénombre recueillie. Comme le livre, ce film est le travail passionné d’un inlassable serviteur tout-terrain de la cause du cinéma.
Livre Sélection officielle (Grasset), 617 pages, 24 € Film Lumière ! – L’aventure commence composé par Thierry Frémaux (Fr., 2016, 1 h 26)
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