Premier rôle de « The Smell of Us », jusqu’à ce qu’une embrouille avec Larry Clark ne le force à quitter le tournage, Lukas Ionesco, 20 ans, nous décrit l’aventure d’un film sous (très) haute tension.
Lorsqu’il nous rejoint dans un bar parisien, Lukas Ionesco n’a plus rien de l’angelot blond qu’il incarne dans The Smell of Us. Jean troué, boots en lambeaux, perfecto lacéré au dos et cheveux teints en noir, le garçon de 20 ans ressemble à un vieux corbeau punk. A demi-mot, il expliquera qu’il veut tuer l’image que lui renvoie le film de Larry Clark, faire le deuil de cette expérience dont il ressort lessivé, abattu.
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Pour le fils de la cinéaste et actrice Eva Ionesco, l’aventure de ce premier film avait pourtant démarré idéalement : sans aucune expérience, il allait jouer pour l’un de ses maîtres, entouré d’une bande de potes avec qui il raconterait l’histoire d’une jeunesse à laquelle il s’identifie. Mais la machine s’est enrayée : Larry Clark a changé ses plans, provoqué le chaos sur le tournage et poussé ses acteurs à bout jusqu’à ce que certains d’entre eux quittent le navire. Très marqué par l’épreuve, Lukas Ionesco raconte les méthodes d’un cinéaste pour qui la création ne va pas sans une certaine idée du désordre.
Comment t’es-tu retrouvé sur ce film ?
Lukas Ionesco – J’étais à une soirée à Montreuil quand une fille a parlé d’un projet de Larry Clark à Paris, pour lequel il organisait un casting. J’aimais son travail, j’avais vu Ken Park plus jeune, puis Kids et Wassup Rockers. J’étais sensible à sa vision de la jeunesse, à son imagerie destroy, un peu punk, alors je me suis ramené au casting. Larry ne devait pas être là mais il s’est pointé et on a bien accroché avec son scénariste, Mathieu Landais. Le soir même, il m’a invité à bouffer et on a passé une semaine ensemble. Avant de repartir pour New York, il m’a dit : “Voilà, je te donne le scénario, j’ai pensé à toi pour jouer Math, un rôle compliqué.” J’ai hésité pendant un mois, je n’étais vraiment pas sûr. Et je me suis laissé embarquer…
Pourquoi hésitais-tu ?
Ce qui m’intéressait dans le projet, c’était le premier scénario de Mathieu. J’adorais cette histoire de jeunes mecs qui ont des problèmes avec leurs parents et qui décident de faire de l’escort parce qu’ils n’ont pas de thunes. Je trouvais ça fort. Mais je connaissais aussi la réputation de Larry Clark. Je savais qu’il pouvait être très dur et exigeant, pour les scènes de cul notamment. Alors je lui ai tout de suite expliqué mes limites, et on a longuement parlé. Pendant les deux ans de la préparation, on se voyait très souvent, on allait à des fêtes ensemble, à des contests de skate… Il m’a eu à la confiance.
Comment s’est déroulé le tournage ?
Bizarrement, quand j’ai vu le film, j’étais incapable de me souvenir d’avoir tourné certaines scènes. Je me suis laissé porter par mon rôle, comme dans un rêve. Ou un cauchemar. Au départ, tout allait bien, mais une semaine avant la fin du tournage la situation s’est dégradée. Larry a perdu le contrôle, il est devenu barge. Il a complètement changé, s’est remis à picoler, à fumer, alors qu’il n’avait pas allumé une clope depuis vingt ans. Il a viré des mecs du casting, nous demandait toujours d’en faire plus, d’aller plus loin. Avec lui, il n’y a pas de différence entre toi et ton personnage : il faut être toujours disponible, la nuit, les week-ends. J’avais 18 ans à l’époque, j’étais perturbé par tout ça, alors le tournage a explosé.
On raconte que la scène de fétichisme a été l’élément déclencheur des crises…
Entre autres, oui. Pour cette scène, je devais me faire lécher les pieds par un mec qui allait être joué par Gaspar Noé. Mais le jour du tournage, Larry a débarqué en disant qu’il voulait remplacer Gaspar et a exigé que l’on tourne à huis clos. C’est devenu très bizarre, très crade : il m’a léché les pieds pendant deux heures, en murmurant “mon petit garçon, mon petit garçon”. Là, il a dépassé les limites. Je crois d’ailleurs que c’est ce que voulait Larry, il jouait avec mes émotions. En voyant le film, j’ai compris qu’il avait eu dès le départ l’intention de me manipuler. Mon personnage est un jeune paumé, triste, dur, qui vit dans ses rêves. Et Larry a tout fait pour me plonger dans cet état pendant la durée du tournage. Il m’a trahi, en fait. Mais j’ai résisté, et pour ça je crois que je ne serai jamais un des kids de Larry Clark.
Qu’est-ce que ça implique d’être un de ses kids ?
Je ne dis pas qu’il faut être sa pute, mais il faut nouer un truc hyper intime avec lui. Les Wassup Rockers sont ses kids. Larry leur loue un appart, il traîne tout le temps avec eux et gère leur tournée de skate…
Dans le magazine Vice, ta mère a qualifié Larry Clark d’“artiste pédophile”. Qu’en penses-tu ?
Bon, d’abord, elle ne m’a pas prévenu qu’elle accordait cette interview. Ensuite, c’est ma mère, elle a son caractère. C’est un terme fort, “pédophile”, mais je ne peux pas nier ce qu’elle dit. D’ailleurs, il suffit de voir le film. Larry Clark ne s’est jamais autant confié, il n’a jamais autant parlé de lui que dans The Smell of Us. Et il ne se débine pas, le mec, il assume. Il dit “ouais, je suis un vieux qui kiffe les jeunes”.
Lorsqu’elle était enfant, ta mère, Eva Ionesco, fut le modèle de photographies sensuelles (prises par sa propre mère) qui ont créé la polémique dans les années 70. As-tu eu l’impression de reproduire ce schéma pendant le tournage ?
Vers la fin oui, j’ai eu un déclic et je me suis dit “merde, je suis en train de vivre le même truc”. C’est pour ça d’ailleurs que j’ai décidé de laisser tomber le cinéma. J’avais un projet de film assez avancé avec Damien Odoul mais on a préféré abandonner. Je vais me consacrer à ma musique et mes photos.
As-tu eu des nouvelles de Larry Clark depuis la fin du tournage ?
Non, même pas un mail, et c’est très bien comme ça.
Tu lui dirais quoi, si tu le revoyais ?
Fuck you.
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