Le dernier film d’Harry Dean Stanton. Une oraison funèbre anticipée et touchante dans le désert californien.
Une précision, d’abord : John Carroll Lynch n’a aucun lien de parenté avec David Lynch. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir casté ce dernier (dans un rôle secondaire) et, surtout, un de ses acteurs fétiches : Harry Dean Stanton, mort en septembre, et ici de tous les plans. La coïncidence pourrait s’arrêter là, elle serait déjà notable. Mais J. C. Lynch, lui-même acteur (seconds rôles dans Fargo, Zodiac ou plus récemment Jackie), pousse la perversité jusqu’à multiplier les clins d’œil : non seulement à l’œuvre de son homonyme, en particulier à Une histoire vraie et Twin Peaks, mais aussi au film culte de Wim Wenders, Paris, Texas, qui a rendu Stanton célèbre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La routine du personnage, nommé Lucky, tient ici lieu de narration : on suit d’abord le vieil homme dans sa cabane poussiéreuse, d’ablutions sommaires en café amer ; puis dans son dinner favori où il passe l’essentiel de ses journées à lire le journal, quand il ne parle pas du passé avec des vétérans de passage (belle scène avec Tom Skerritt) ; enfin, au comptoir d’un dive bar où il partage la peine d’un ami dont la tortue s’est évadée (spoiler : David Lynch est cet ami, et il a une leçon sur la lenteur et la sagesse à délivrer).
Quelques pics se dégagent, comme ce chant en espagnol qui rappelle la Canción Mixteca de Paris, Texas, ou cette scène de cauchemar où Lynch fait du Lynch ; mais globalement, un calme plat règne, aussi plat que le désert californien où est planté ce décor d’americana éternelle.
Lesté d’un tel bagage cinéphile, emberlificoté dans sa pelote méta et sans autre projet que de ramener des fantômes archi-usés à la vie, Lucky avait tout pour être un désastre. Et pourtant, c’est un film charmant : une oraison funèbre malicieuse. S’il n’a pas le talent de son homonyme, dont chaque plan de Twin Peaks sur son vieux compagnon avait le pouvoir d’arracher des larmes, J. C. Lynch parvient à faire danser suffisamment ses fantômes pour ne pas s’enterrer avec eux dans un cimetière de références.
Il faut dire que Stanton verse toutes ses forces dans la bataille, et le voir déambuler suffit à enchanter la plupart des scènes. Robert Mitchum, dans Dead Man de Jim Jarmusch, exerçait une fascination similaire, à la fois morbide et toujours pleine de vigueur. C’est la prérogative des vieux acteurs gorgés de présence que de pouvoir réanimer ainsi leur légende, à condition que quelqu’un se penche sur eux pour la recueillir.
Lucky de John Carroll Lynch (E.-U., 2017, 1 h 28)
{"type":"Banniere-Basse"}