Deux super stars chinoises incarnent un couple séropositif dans Love For Life, une comédie romantique qui brave le tabou du Sida. Toléré par les autorités, le film met un terme à des années de silence sur la maladie et la responsabilité de l’Etat dans une affaire de sang contaminé.
A première vue, rien ne distingue vraiment Love for Life de la grande majorité des blockbusters chinois. C’est une comédie romantique un peu naïve, avec violons et trémolos de circonstance, soutenue par les autorités et distribuée sur un parc de copies conséquent. On y retrouve à la mise en scène l’ancien directeur de photographie Gu Changwei (qui s’est illustré dans le beau second film de Jiang Wen, Les Démons à ma porte) ; au casting une célèbre pin-up (Zhang Ziyi, aperçue dans 2046 ou Tigre et Dragon) et une pop-star HK (le chanteur Aaron Kwok).
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Mais les deux acteurs glamours de cette love story officielle, sortie la semaine dernière sur les écrans chinois, ont dans le film une particularité de taille : ils sont tous deux séropositifs, victimes de l’affaire du sang contaminé qui a ravagé la province du Henan dans les 90’s avec la complicité des autorités locales. Annoncé comme la première fiction sur cette crise sanitaire, Love for Life pourrait bien être une petite révolution dans le paysage hyper consensuel du cinéma chinois, où le thème –très sensible- du Sida reste un point aveugle.
La loi du silence depuis 1998
Résultat de quatre ans de recherche, Love for Life est l’aboutissement d’un engagement mené par le cinéaste Gu Changwei en faveur de la prévention contre le Sida (il tournait en 2008 un court-métrage pour l’Organisation Internationale du Travail, destiné à lutter contre la stigmatisation à l’embauche des malades). Mais c’est avant tout une fiction, insiste le réalisateur dans une interview accordée au China Daily : l’histoire d’un amour interdit entre un couple de séropositifs mis au ban d’une petite communauté villageoise (elle a contracté la « fièvre » en vendant son sang ; lui est malade depuis sa naissance).
Le film de Gu Changwei cite ouvertement le scandale du sang contaminé survenu en Chine dans les années 90 et passé sous silence depuis. Autorisant les dons de sang rémunérés (le plus souvent opérés dans des conditions précaires sur la population paysanne), l’Etat s’était rendu responsable d’une contamination à grande échelle –dont les conséquences précises sont encore inconnues aujourd’hui. « Si mon film a la moindre valeur, c’est parce qu’il expose ce thème en plein jour », explique le réalisateur, dont l’innocente comédie romantique brise une omerta qui court depuis 1998 et la fin des prélèvements sanguins rémunérés.
« Dans la Chine contemporaine, les gens tournent pâle quand on mentionne le sida, ajoute-t-il dans une interview accordée au Telegraph. Ce film propose de dépasser cette peur »
Des autorités plutôt tolérantes
Avec son budget de Wu Xia Pan (3 millions de dollars) et son casting de starlettes locales, Love for Life est la première tentative d’évocation du Sida dans une œuvre de culture populaire chinoise à large audience. Mais le plus étonnant reste le soutien de l’Etat qui ne s’est pas opposé à la diffusion du film et n’a presque pas fait jouer la censure. Le sujet a pourtant toujours été sensible pour le régime, qui ordonna l’arrestation du haut fonctionnaire Ma Shiwen en août 2003 pour avoir révélé des informations sur le scandale du sang contaminé ; ou interdit de publication le roman de Yan Lianke, Dream of Ding Village, qui évoquait un village ravagé par le VIH.
« Le gouvernement chinois n’a jamais levé le voile et expliqué les choses au public, indique Zhang Beichuan, professeur à l’université Qingdao, cité par le Telegraph. Peu de personnes ici connaissent le scandale du sang contaminé. Malheureusement, personne ne semble vouloir assumer la responsabilité du désastre. »
L’autorisation de Love For Life, si elle ne signifie pas encore une volonté d’ouverture des autorités, témoigne d’une évolution en cours dans un pays qui compte 740.000 séropositifs et où le Sida semble désormais un sujet inévitable. Le film de Gu Changwei pourrait donc bien être une alternative à ce déficit d’information, alors que sa sortie coïncide avec les premières projections de Zai Yi Qi : un documentaire au long cours sur une communauté de séropositifs réalisé par Zhao Liang (auteur du très remarqué Pétition : la cour des plaignants).
Romain Blondeau
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