A Paris, une étudiante chinoise tombe amoureuse d’un prolo. Un film gonflé qui prend la morale et les conventions à rebrousse-poil.
La tradition cinéphile apprécie qu’on passe son temps à s’intéresser aux pérégrinations des cinéastes autour du globe (Hitchcock l’Americano, Buñuel le Mexicano, etc.). Rien que de plus normal : si un cinéaste est un regard, celui qu’il pose sur tout paysage ou société inédite doit nous intriguer, nous interroger sur son acuité, sa capacité à observer, à rendre compte, à dessiner tout ce qui lui est a priori étranger, nouveau.
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Ici, le Chinois Lou Ye visite la France et d’abord Paris. Depuis qu’il est de mode pour les beaufs de droite comme de gauche de résumer la capitale à un paradis pour bourgeois décomplexés, il est devenu quasiment impossible de filmer la ville sans se prendre des tombereaux d’insultes sur la tête. Le Taiwanais Hou Hsiaohsien, pourtant vénéré, en avait lui-même pâti quand il était venu y tourner le magnifique Ballon rouge.
On appréciera donc tout d’abord la façon dont Lou Ye filme Paris au plus près, dans la rue au milieu des cageots, dans les rades pourris, loin de tous les décors évidents de carte postale (mais Paris EST une carte postale). De tous les films français de 2011 tournés dans la capitale, Love and Bruises est celui qui montre le mieux la ville. Tout en révélant, par quelques plans ironiques, que la France et la Chine, aujourd’hui, c’est presque la même chose…
Et puis il y a cette love story improbable, digne au premier abord d’un roman-photo : une histoire passionnelle entre une étudiante chinoise érudite et un prolo, Mathieu, monteur et démonteur de stands sur les marchés. Lou Ye y va fort : tout commence par un viol et la belle, femme libérée sexuellement, perdue dans les sentiments, tombe amoureuse du prolétaire.
Le film ne va pas cesser d’enchaîner les scènes d’amour, de nous mettre mal à l’aise (Mathieu peut être violent, cruel, pervers, narcissique), de bousculer toutes nos idées reçues sur ce qu’est une relation sexuelle sans jamais chercher à en tirer des leçons ou à nous en donner. Ce qui se passe entre deux corps est mystérieux et échappe au champ social, du moins un temps. Quand celui-ci s’en mêle, tout est perdu.
Lou Ye, qui n’a cessé d’essuyer les feux de la censure dans son pays (son film précédent montrait des amants du même sexe), a trouvé en France le lieu idéal pour mettre en scène ce que peu de cinéastes français (Catherine Breillat, Jean-Claude Brisseau, Christophe Honoré ?) ont eu le courage de nous montrer parce que le sujet est encore tabou et ne leur attire que quolibets et railleries de petits-bourgeois.
Mais tout cela ne serait rien si l’histoire n’était incarnée par deux acteurs extraordinaires : Tahar Rahim (aussi dense que chez Jacques Audiard, encore plus perceptible à chaque instant), et une belle inconnue à la voix sublime, Corinne Yam. Magnifique et gonflé.
Jean-Baptiste Morain
Love and Bruises de Lou Ye, avec Tahar Rahim, Corinne Yam, Vincent Rottiers (Fr., 2010, 1 h 45)
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