Avec ses critiques ciné survoltées dans Libé, Louis Skorecki s’est fait connaître du grand public cette année. Pourtant, il surfait déjà sur la Nouvelle Vague.
Depuis qu’il écrit sur les films récents à la télé, on ne parle plus que de lui. Au bureau, au bistrot, à la fac, on se demande les uns les autres, pour causer comme ça ou pour un bon plan drague : « T’as vu ce qu’il a pondu aujourd’hui ? » On est souvent indigné, révolté, furieux et on se rend à l’évidence : il est très fort. Peut-être même trop. Sa prose acérée fait mal, car on n’a rien à (re)dire. Il n’a de comptes à rendre qu’à lui-même et sans doute pas au service « ciné » de son quotidien (au grand dam de Gérard « Big Smack » Lefort). Qu’on ait envie de le flinguer sur place lui importe peu. Il est, comme on le disait de von Stroheim, « l’homme que vous aimerez haïr ». C’est ça, l’effet Skorecki : un jubilatoire « Je t’aime, moi non plus » !
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Ce type est un peu la mauvaise conscience du cinéphile qui met parfois au panier sa subjectivité et sa culture, pour mieux s’en imposer d’autres, « officielles ». Le « culturellement correct », en quelque sorte. Il obéit comme un petit chien à sa secte, sa caste, le spectateur ! Il admire Doillon car il doit l’apprécier, même si, au fond, l’auteur de La Vengeance d’une femme l’emmerde sévère ! Mais voilà, le Sauveur est là. Le « mais si… » ! Quand on y pense, il y a du Patrick Sébastien chez Louis Skorecki, un côté Osons l’intelligence en plus. Une volonté de dire « merde » à quelques-uns de façon totalement affranchie. Pourtant, est-il un véritable provocateur ? Un tenancier de la mauvaise foi absolue ? On l’imagine sans difficulté. Toutefois, ce qui gêne, c’est qu’on n’en est même pas sûr ! D’où trouble. D’où efficacité.
Depuis quelques mois, en effet, la lecture de Libé débute aux pages télé non plus avec Après coup, mais par la « critique » du film du jour. Le concept : un truc qu’on a peut-être adoré en salles va certainement subir la rage de Skorecki. Il s’est ainsi « fait » Cassavetes, Pialat (un « petit cinéaste » ), Eastwood (un « joueur de golf photogénique »), Poirier, Allen, Hou, Coen, Tarantino, De Palma, Hitchcock, Truffaut, Kusturica (son parallèle Kounen/Kusturica est devenu culte), et plein, plein d’autres. Ah, sa démolition du ET de Spielberg qu’il traite de « film merdeux » en notant la ressemblance frappante entre le gentil alien et un étron article où il s’éclate sur les initiales du wonder boy. Inversement, il peut chanter les louanges d’une oeuvre oubliée ou d’un cinéaste mésestimé. Le bougre a comme ça réhabilité Luc Moullet (un grand, il est vrai) comme pilier du cinéma français, élu plus grand film de tous les temps le Leopard man de Jacques Tourneur, ou récemment sauvé Danny DeVito. Parallèlement, il aime bien aussi lourder par et pour le plaisir d’écriture quelques envolées kamikazes (« Le cinéma, c’est la guerre. Godard en sait quelque chose : il en est mort »).
Il faut un sacré toupet pour proférer pareils « blasphèmes » ! Enfin, peut-être le rédacteur de Libé reçoit-il quotidiennement un courrier abondant avec force têtes de chien coupées et autres fétiches amicaux ! Mais la probabilité est moindre, car on aime s’agacer sur ses propos plus ou moins saugrenus. C’est si bon de ne pas être de son avis ! Question : d’où vient cette skoreckimania ?
Il y a un an encore, on ne le remarquait pas trop. Ce mélomane avait bien commis tout un tas de papiers sur les séries télé dans lesquels il avait encensé Dream on, NYPD et autres Alf (sic). Il avait aussi sa quotidienne TV où il nous remémorait quelques classiques du cinoche de la « grande époque ». Mais voilà, ça ne fonctionnait pas forcément. On avait presque oublié que Skorecki avait signé cinq films et été un des grands des Cahiers. Entre 1962 et 1965, il avait tout de même interviewé (sous le pseudonyme de Jean-Louis Noames) pléthore de grands cinéastes d’outre-Atlantique là-bas, aux States : McCarey, Walsh, Lewis, Fuller, Edwards, Sternberg, etc. (entretiens qu’il fit parfois avec Serge Daney). Il fut également le créateur avec son damné acolyte de la revue Visages du cinéma (qui n’aura vécu que deux numéros !).
Mais Skorecki, sans le réduire, a été l’homme d’un texte. Immense, furibard en diable, Contre une nouvelle cinéphilie est un pamphlet génial, tordu, où le critique dénonce l’imposture d’une certaine idée de la cinéphilie. Faisant l’éloge de son cher Tourneur, il démolit en sept doubles tableaux l’apparat culturel, le concept d' »auteur » désormais inapplicable, se souvient de l’époque bénie du Mac-Mahon où il se plaçait dans les cinq premières rangées pour ne plus voir le cadre, réhabilite le film en tant qu’entité, invente des concepts fantaisistes (ah, le « cinéma d’ôteur » !). Du délire en trente pages environ, auquel il a fallu à peu près un an pour être publié dans la revue mythique du 9, passage de la Boule-Blanche, une des tendances Cahiers n’appréciant que modérément les arguments skoreckiens. Mais cet article aura été décisif en ce qu’il a judicieusement (dé)montré la portée et l’impact des moeurs télévisuelles sur le septième art. Il ira même jusqu’à écrire « S’il est vrai que la télévision tue le cinéma, alors, vite, une bonne fois pour toutes, que meure ce cinéma ! » Avec Danièle Dubroux, il imposera un style dévastateur, tant en démolissant les produits culturels de gauche qu’une certaine idée du cinéma américain (Skorecki a le culot d’affirmer « En deux mots, pour être net et mis à part ce qui se fait dans les marges , le cinéma américain est aujourd’hui le plus mauvais du monde »). La polémique, pour ce sophiste deleuzien, serait un acte de résistance. Après tout, semble-t-il nous dire, le cinéma, ça n’est que du cinéma, c’est-à-dire rien. Et donc, pour nous, déjà beaucoup.
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