Pourquoi devient-on artiste dans une famille d ’artistes ? Chiara Mastroianni et Louis Garrel, héros des Bien-Aimés de Christophe Honoré, retracent leur chemin.
Autrefois, on ne reprochait pas aux artistes de cirque de se succéder de père en fils. On parlait de dynasties d’acteurs. Leur nom était célèbre mais le métier d’artiste mal vu.
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Aujourd’hui, c’est différent. Les métiers artistiques se sont ouverts à tous les milieux et se trouvent même socialement valorisés. Conséquence : la concurrence et la difficulté à percer dans ces métiers provoquent souvent – et peut-être à juste titre – la colère de ceux qui ne sont pas nés dans le giron. Les « filles » ou « fils de » se retrouvent accusés de concurrence déloyale et d’être aidés par leurs parents ou leur nom.
Mais qu’en est-il vraiment ? Pourquoi devient-on artiste dans une famille d’artistes ? Quelle conscience en a-t-on réellement ? La très pince-sans-rire Chiara Mastroianni et l’anxieux Louis Garrel, issus d’une famille illustre pour la première, prestigieuse pour le second, sont bien placés pour parler du rapport complexe à la filiation – sujet des Bien-Aimés de Christophe Honoré dans lequel ils jouent. Où l’on verra que les chemins vers l’actorat peuvent être variés, voire contradictoires, et éclairés par le hasard et la chance.
Chiara Mastroianni, née en 1972, est la fille de qui l’on sait. Sa mère, déjà, était issue d’une famille de comédiens, les Dorléac : « Quand j’étais enfant, explique Chiara, je ne captais pas que je faisais partie d’une famille de comédiens. Je sais que mon grand-père maternel (Maurice Dorléac – ndlr) avait été directeur du doublage pour la Paramount. Mais on n’en parlait jamais : c’était mon grand-père avant tout. Ma grand-mère, Renée, m’a souvent raconté des anecdotes sur son métier. Mais c’était du théâtre : elle était comédienne à l’Odéon. Elle a près de 100 ans aujourd’hui, elle a toute sa mémoire mais reste très pudique. J’ai donc tendance à oublier qu’elle fut actrice, sans doute aussi parce que je ne l’ai jamais vue jouer. Je n’ai pas connu ma tante, Françoise Dorléac, qui elle aussi venait du théâtre. J’ai mis du temps à relier les points de ma famille française. »
Louis Garrel, né en 1983, fils du cinéaste Philippe Garrel et de la metteuse en scène et comédienne Brigitte Sy, petit-fils du comédien Maurice Garrel (décédé en juin 2011), neveu du producteur Thierry Garrel, n’avait pas non plus une conscience aiguë de son appartenance à une dynastie : « Membre d’une famille d’artistes ? Non. Je voyais surtout mon père et ma mère qui galéraient pour faire ce qu’ils voulaient. A vrai dire, il m’a fallu du temps pour me rendre compte de leur instabilité économique. Ma mère a monté des pièces en prison, il fallait tout inventer, réussir à faire communiquer le ministère de la Justice et le ministère de la Culture. Ça m’impressionne encore beaucoup aujourd’hui : faire ça toute seule, dans un monde d’hommes. Ses spectacles étaient très beaux. Mais famille d’artistes, non. En revanche, c’est l’image qu’on nous renvoyait de l’extérieur… »
« C’est ma mère qui m’a transmis le côté transgressif du cinéma »
Même réaction chez Chiara Mastroianni : « Evidemment, tout le monde me parlait de mes parents mais moi, je voyais surtout le cinéma ! A cause de mon père qui m’emmenait sur ses tournages mais aussi de mon oncle Ruggero, son frère, un monteur très connu. Je l’ai beaucoup vu travailler à Cinecittà, j’adorais. Je ressentais ça très fort comme un artisanat familial. En France, j’accompagnais très peu ma mère sur les tournages. Comme je vivais avec elle, c’était moins exotique qu’avec mon père. Mais c’est elle qui m’a donné le goût du cinéma. C’est une vraie cinéphile, encore maintenant. Je ne sais pas où elle trouve le temps de voir autant de films ! Je me souviens qu’elle avait un placard rempli de VHS et même de cassettes Betacam avant que les cassettes vidéo grand public n’existent !
Le côté transgressif du cinéma, c’est elle qui me l’a transmis. Elle avait eu en douce, je ne sais même pas comment, une cassette de La Guerre des étoiles en VO non sous-titrée avant même que le film ne sorte en France ! J’étais comme une dingue. Le point d’orgue de la semaine, c’était le Ciné-Club d’Antenne 2. J’y ai découvert tous les Capra et les Preminger. Et puis il y avait le drame du Cinéma de minuit le dimanche soir, auquel je devais renoncer parce que j’allais au collège le lendemain matin ! C’était la schlague ! On allait aussi dans les Action, etc. Elle m’a mis le nez dedans… Après, les gens s’étonnent ! J’étais très attirée par le cinéma mais pas par le métier d’acteur spécifiquement. J’aurais pu devenir scripte. »
« Je suis très bon public »
Autre vision des choses chez Louis Garrel, pour qui tout est venu par le théâtre : « Assez rapidement, je me suis dit que je voulais faire du théâtre, pas du cinéma. L’espace de la scène et des coulisses me plaisait. J’avais l’impression que c’était un endroit chaud, j’avais envie d’y aller. Quand j’étais petit, j’allais tout voir, même du boulevard, avec ma mère. Y compris Boeing-Boeing de Marc Camoletti au Théâtre de la Michodière ou L’Hôtel du Libre-Echange de Feydeau avec Martin Lamotte, Chantal Ladessous, etc. On hurlait de rire ! On prenait les places au dernier moment donc on était mal placés. On faisait pipi dans notre culotte tellement on riait. J’adorais ça ! Ensuite, on allait manger sur les Grands Boulevards.
Je suis très bon public, je fréquente indifféremment le théâtre privé ou public. Les décors réalistes, j’adore aussi : un salon bourgeois avec un jardinet sur la tour Eiffel, ça ne me donne pas le bourdon – un petit peu peut-être ! (rires) Je peux regarder les répétitions pendant des heures. C’est une étape géniale où l’on essaie de rendre sur scène une explication de texte. Je crois que le théâtre est l’art qui se renouvelle le plus en ce moment. Vincent Macaigne ou Sylvain Creuzevault sont deux metteurs en scène qui font de l’art théâtral. Il me semble que le cinéma est plus compliqué en ce moment… »
Louis, peu bavard sur son génial cinéaste de père, se montre plus enclin à parler de ses professeurs du Conservatoire (notamment Gérard Desarthe, qu’il vénère et imite à la perfection dans une adaptation de Titus Andronicus par Botho Strauss montée par Luc Bondy) et surtout de son grand-père :
« J’avais vu Maurice dans une pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt qui s’appelait Le Visiteur. J’y suis allé deux fois avec ma mère, j’avais 11 ans, je crois. Maurice a été assez exemplaire, dans sa vie comme dans son art. Donc oui, partager des gènes… En même temps, on dit que 20% des gens n’ont pas pour père leur père officiel ! (rires).
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