Pour son premier film de cinéaste, Ryan Gosling réalise un joli conte morbide et sentimental sous influences.
Depuis le début des années 2010, soit depuis sa rencontre avec les auteurs Derek Cianfrance et Nicolas Winding Refn, qui lui offrirent ses plus beaux rôles dans Blue Valentine et Drive, Ryan Gosling a gagné une soudaine crédibilité indé tout en conservant sa place au sommet de l’entertainment hollywoodien. De cette mutation très concertée, qui visait à tuer l’ex-icône adolescente pour renaître en acteur radical, Lost River a visiblement été pensé comme le manifeste, une sorte de carte de visite redéfinissant une fois pour toutes la persona Gosling.
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Premier film écrit et réalisé par la star, cet étonnant objet, aux confins de l’expérimental arty, nous transporte dès les premières minutes dans la ville de Lost River, projection fantasmatique d’un Detroit désert, ensauvagé sous les effets de la crise économique. C’est ici que vit Billy (Christina Hendricks, superbe Jessica Rabbit de la série Mad Men), une mère de famille qui se désape dans un cabaret morbide façon Grand-Guignol pour payer son loyer et nourrir ses deux gosses. Autour du petit clan gravite un voyou dégénéré qui hurle sous la lune, un chevalier blanc conduisant un taxi (Reda Kateb) et une jeune princesse (Saoirse Ronan) isolée dans un manoir où elle ressasse de vieilles histoires de malédiction. Tous constituent les archétypes d’un conte cruel, où Ryan Gosling revisite le motif de l’innocence blessée dans un flamboiement d’images symboliques et de bouffées de style, prétextes à l’énumération de son panthéon personnel.
Le film dessine un autoportrait mental de son auteur
De David Lynch à Mario Bava, de Dario Argento à Harmony Korine, l’acteur et son brillant chef op Benoît Debie (Spring Breakers) additionnent les citations frontales des grands cinéastes du macabre dans un objet maniériste à l’effet d’hypnose saisissant. Entre quelques scènes un peu gadget et des instants de pure sidération plastique, le film dessine ainsi un autoportrait mental de son auteur qui serait vain, ou simplement décoratif, s’il n’était habité par une forme de contradiction passionnante. Le conte Lost River, au même titre que la musique du groupe de Gosling, Dead Man’s Bones, semble en effet branché sur deux courants alternatifs : celui d’une pulsation rock, électrique et sale, hantée par une imagerie gothique, et celui d’une sentimentalité un peu cheesy, qui exalte les vertus de l’enfance et de la famille au rythme d’une petite comptine Disney. Il faut croire que l’on n’échappe pas si facilement à son passé.
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