Un petit groupe d’adolescents criminels s’évade de prison. Un premier film argentin subjuguant.
On ne sait quasiment rien de ces adolescents qui traversent cette nature sans fin. Deux ou trois choses tout au plus : qu’ils sont des fugitifs évadés d’une prison, qu’ils ont pour la plupart tué au moins une fois dans leur vie et qu’ils n’hésiteront pas à le refaire, sans se poser de question.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est tout juste si on les distingue les uns des autres pendant une bonne partie du film, à l’exception de l’unique fille du groupe, aux yeux translucides, au sourire carnassier et enfantin, et du plus jeune d’entre eux, mutique, peut-être simplet.
A peine a-t-on le temps de repérer un visage, le grain de sa peau, qu’il disparaît littéralement dans la nature, éliminé d’une manière qui nous échappe presque. Tout ancrage sociologique et psychologique est banni du monde flottant et barbare décrit par Los Salvajes.
Ce premier film subjuguant du réalisateur argentin Alejandro Fadel (scénariste pour Pablo Trapero), découvert à Cannes l’an dernier à la Semaine de la critique, fait avant tout exister un mouvement de dérive et un état de sauvagerie. Un choix qui n’est pas sans risques car souvent porteur d’une esthétisation douteuse de la violence.
Le tout début du film semble d’ailleurs à deux doigts de tomber dans le panneau en collectionnant les flous. Mais la confusion qui règne dans les couloirs du centre de détention où se trame l’évasion des jeunes criminels n’est pas aussi artistique qu’elle en a l’air.
Loin de mijoter aux petits oignons un départ sensationnel, la mise en scène à la fois proche et lointaine sait prendre ses distances pour poser les bases d’un flottement plus profond.
La violence ne s’exprime pas ici par coups d’éclat et ne suit aucune logique de surenchère : elle est posée d’emblée comme un état de fait, immuable, et les adolescents souvent défoncés ne seront pas pires à la fin du film. Rien n’est pour autant figé et c’est ce qui impressionne le plus dans l’écriture déjà très maîtrisée de Fadel.
A la fois diffuse et fulgurante, omniprésente et insaisissable, la sauvagerie de ces adolescents (des kids de Larry Clark perdus chez Herzog ?) reste de bout en bout terrifiante, car elle se fond dans un monde sans repères temporels, spatiaux et moraux, un territoire de déréliction, totalement primitif.
Quand un des garçons quitte le groupe, il assiste à une scène étrange : un homme sort de son pick-up le corps d’une femme qu’il pose au milieu des bois. S’agit-il d’un tueur ou d’un amant endeuillé ? N’y a-t-il comme seul contrechamp possible à cette réalité que cette image mystérieuse et glaçante, possiblement hallucinée ?
Toutes les nuits, un sanglier rôde tel le grand méchant loup près du camp des enfants, rappelant la menace de dévoration, d’engloutissement qui plane sur eux. La menace semble autant venir de la nature que d’eux-mêmes, peut-être parce que la frontière entre les deux est difficilement identifiable.
Au cœur des ténèbres, les quelques mots et gestes de ces vagabonds, mi personnages, mi-figures, résonnent singulièrement et fortement. Ils révèlent une manière, parfois enfantine, de composer avec l’absence de sens qui règne sur leur vie. Il suffit de les voir autour d’un feu, parfaitement décalqués, s’amuser à construire chacun leur tour, mot par mot, une phrase sans queue ni tête. Ou bien laisser partir à la dérive, sur la rivière qu’ils longent, le cadavre de l’un d’entre eux posé religieusement sur un tapis de fleurs.
Le sacré vient s’immiscer par petites touches dans ce monde sans foi ni loi jusqu’à finalement faire naître un foyer
et ouvrir une dimension mystique imprévisible et sublime. Car c’est dans un embrasement chamanique hallucinant que se termine le voyage qui aura vu disparaître progressivement les membres du groupe, tels les dix petits nègres : un feu allumé par le plus jeune et le plus effacé d’entre eux, qui scelle étonnamment la fusion entre l’homme et l’animal, dans une dernière flamme stupéfiante et sans appel.
{"type":"Banniere-Basse"}