En s’affranchissant de l’influence de Chabrol pour celles de deux grands formalistes du cinéma américain, Sébastien Marnier orchestre un saisissant jeu de faux-semblant et confie à Laure Calamy un rôle vertigineux d’opacité.
Peut-être lassé de l’affiliation un peu systématique qu’ont pu faire les commentateur·trices de son cinéma à celui de Chabrol, Sébastien Marnier (Irréprochable, L’Heure de la sortie) prend dès le prologue de L’Origine du mal, le contre-pied, nous propulsant dans une valse ininterrompue d’images à double-fond.
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Si L’Origine du mal est incontestablement son film le plus chabrolien dans les motifs convoqués (le dérèglement de la bourgeoisie de province), les premières minutes nous emmènent ailleurs. Dans une usine d’anchois, Stéphane, une de ses ouvrières (Laure Calamy) pure mais naïve, est essorée par la violence du monde qui l’entoure. L’actrice qui prête ses traits à ce personnage n’a rien d’un hasard. Découverte par le grand public avec Dix pour cent dans le rôle d’un personnage délicieusement candide, puis interprétant à plusieurs reprises des femmes courageuses, malmenées par la brutalité du système (À plein temps, Une femme du monde), Calamy, est, ici, en terrain connu. Pourtant quelque chose résiste, sonne faux, comme un piano désaccordé jouant, impuissant, les bons accords d’une partition.
En singeant, volontairement ou non, cet écueil trop souvent systématique d’un certain cinéma social à la française qui sacralise la victime pour n’en garder que la face angélique, Marnier a retenu la leçon d’un autre grand maître moraliste : Fritz Lang, chez qui toute victime devient simultanément le bourreau d’un autre. Cet aphorisme offre à Laure Calamy, passionnante d’opacité, une vertigineuse démonstration sur la plasticité du moi.
L’invraisemblable vérité
Dès lors, ce n’est pas qu’un visage qui change de nature, mais tout un film, lorsque soudain la caméra s’adonne à un maniérisme nouveau dans le cinéma de Marnier. Que ce soit un split-screen en pleine réunion familiale, ou encore un ample mouvement de caméra à la grue initiée sur trois personnages immobiles dans un canapé. Ces scories esthétiques partagent en commun leur incongruité et tisse une affiliation aussi nouvelle qu’inattendue avec Brian de Palma.
Il faut pourtant voir dans ce recyclage, excessivement outrancier, des tropismes de l’auteur de Body Double, non pas une fin en soi mais comme un nouveau passage secret, assurément le plus passionnant, pour pénétrer le film. L’Origine du mal partage avec les films de De Palma la façon dont la malignité et la virtuosité orchestrent ce ballet de faux-semblant et de double-jeu, lequel prend petit à petit le pas et rend insignifiante la crédibilité des faits racontés, ici invraisemblables. Il y a dans L’Origine du mal, cette même capacité à s’extraire d’une ligne narrative principale pour s’adonner à un pur objet théorique sur la nature des images et redéfinir les champs moraux même les plus évidents : ici ni mensonge, ni vérité, ni bourreau, ni victime.
L’Origine du mal de Sébastien Marnier Avec Laure Calamy, Doria Tillier, Dominique Blanc (de la comédie française), Jacques Weber… En salle le 5 octobre
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