Le pourquoi et le comment du passage d’une star de 55 ans derrière la caméra.
Finalement, il semble logique que, pour son premier film en tant que réalisateur, Al Pacino se soit colleté Shakespeare. Après tout, le petit rital du Bronx avait déjà passé de longues semaines en tête-à-tête avec cette crapule de Richard III, que ce soit en l’étudiant à l’Actor’s Studio ou un peu plus tard sur les planches de Boston et Broadway. Et puis la filmographie pacinienne est criblée de rôles qui auraient pu être écrits par le grand Billy : le Corleone du Parrain est peut-être bien un Richard III faisant dans l’huile d’olive et la mitraille, le Montana de Scarface serait un descendant putatif de Macbeth avec de la coke plein les naseaux et le Carlito de L’Impasse pourrait s’identifier au sort d’un roi Lear dépossédé de son pouvoir.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ainsi, les millions d’Américains qui ont vu les films de Coppola ou De Palma connaissent-ils un peu l’Elizabéthain, sans le savoir, parce que des cinéastes bien intentionnés leur ont filé un peu de Shakespeare en contrebande. Des mafieux graisseux et contemporains, c’est bon, ça permet l’identification, mais le vrai Shakespeare… un monument intimidant, un pensum obligatoire aux cours de littérature du lycée, avec tous ces costumes d’un autre âge et cette langue anglaise ancienne, si étrange et imbitable. Mais Pacino, prolo rital, a pensé que si lui avait pu comprendre et aimer Shakespeare, alors le grand public américain devait pouvoir suivre. C’était la première raison de se lancer dans Looking for Richard : partager sa passion, faire connaître Shakespeare à la génération Beck-Nike-Internet. « Ça fait plus de vingt ans que je suis obsédé par le personnage de Richard III. C’est un des plus grands salopards de tous les temps. Ce film, c’est aussi montrer comment Shakespeare est toujours pertinent aujourd’hui. Il devrait intéresser beaucoup de gens, surtout les jeunes. Je ne veux pas paraître prétentieux mais je pense que ce film est pédagogique, distrayant, exigeant et que la beauté de la langue shakespearienne devrait séduire tous les spectateurs. D’ailleurs, je vais organiser des projections dans les lycées. L’un de mes buts est de convaincre le grand public américain qu’il ne faut pas avoir peur de Shakespeare. »
Pacino a tourné Looking for Richard sur une période de quatre années, travaillant dessus comme à des devoirs de vacances, occupant les espaces libres entre ses tournages de Heat ou City hall, jonglant avec les emplois du temps de ses camarades comédiens. « Au début, c’était juste une sorte d’expérience… Je ne pensais pas du tout que ce projet finirait par être présenté au Festival de Cannes. » Preuve de l’aspect expérimental et de la liberté économique du projet, Pacino a imprimé quatre-vingts heures de pellicule avant d’en arriver aux deux heures du résultat final. Montrer les préparatifs et les répétitions de la pièce, inclure le processus de création dans le film lui-même, permettait à Pacino de « desceller le monument » mais aussi de montrer au public ce qui est sa raison d’être : le long, patient et difficile travail de l’acteur. « Quand je faisais des lectures dans les universités, je me souviens qu’en expliquant d’abord les intrigues et les personnages, dans un langage simple et direct, tout cela avant d’entrer spécifiquement dans Shakespeare, les étudiants devenaient beaucoup plus réceptifs. On a repris cette méthode dans le film. Et puis je voulais démythifier un peu le processus qui fait l’essence d’un acteur, mais en même temps, je tenais à montrer à quel point on bosse sur nos rôles, à quel point on peaufine notre travail. »
Autre élément remarquable et surprenant, le contraste entre la facture esthétique du travail de Pacino (tout ce côté bordélique, work in progress, documentaire brut et sans chichis) et celle des grosses productions dans lesquelles il a coutume de jouer. Il est clair que Looking for Richard n’est pas un ego-trip, un caprice de star, et que Pacino n’est pas passé derrière la caméra pour en remontrer à De Palma, attitude rafraîchissante dans un cinéma américain globalement cadenassé par les recettes et les professionnels de la profession. « Même si je me posais la question de savoir comment filmer certaines scènes, je devais agir rapidement c’est mon propre argent qui était en jeu. Je ne me suis donc pas éternisé sur les problèmes esthétiques. Je découvrais tel lieu de tournage, j’essayais de m’en imprégner et ensuite, quand on roulait, j’espérais que les choses se mettraient en place d’elles-mêmes, comme dans une improvisation. Cette manière et cette rapidité ont donné beaucoup d’énergie aux comédiens. » Pacino n’est même pas sûr d’avoir envie de remettre la casquette de director : « Je ne réaliserais jamais un film dans lequel je ne joue pas. Et il faudrait que ce soit du matériau qui vienne de moi, ou une pièce que je ressens profondément… Mais réaliser n’importe quel film, exécuter une commande ? Je n’ai pas le don de la mise en scène, je ne suis pas cinéaste et je me sentirais mal à l’aise dans un tel cas de figure. Je me sens plutôt dilettante. » Looking for Richard était simplement une opportunité pour régler quelques vieilles obsessions une offre qu’il ne pouvait pas refuser.
{"type":"Banniere-Basse"}