Attention les yeux, millésime 43 : revoici le Hitchcock préféré d’Hitchcock. Le Bien et le Mal y changent de peau, s’amusant à merveille avec nos nerfs.
Charlie (Joseph Cotten) plaît aux dames riches, veuves et joyeuses. Elles l’entretiennent, il les étrangle. Traqué par la police, il décide un jour de se réfugier chez sa sœur, mère fatiguée pour ne pas dire dépressive d’une famille petite-bourgeoise. Emma (le prénom de la mère d’Hitchcock) éprouve pour son jeune frère un amour et une admiration immodérés. Elle l’accueille comme le fils prodigue. Elle a donné à sa fille aînée le prénom de ce frère, Charlie. Or, la nièce et l’oncle sont comme les deux faces d’une même pièce : ils s’aiment et devinent tout des pensées de l’autre. Mais Charlie-oncle est le Mal (pour lui, le monde est une « porcherie »), Charlie-nièce est le Bien (le monde est son petit village « heureux » et policé de Californie). L’adolescente innocente découvre la véritable identité de son oncle et devient une menace pour lui…
Voici donc le retour de L’Ombre d’un doute, le film « préféré » d’Hitchcock, celui où se trouvent à la fois comblés ses propres exigences formelles et le goût du public pour la vraisemblance et la psychologie. L’Ombre d’un doute, c’est évidemment un film à suspens, une intrigue policière à la mise en scène implacable, fondée sur le chiffre 2. C’est aussi une histoire de famille (existe-t-il seulement des histoires qui ne soient pas de famille ?) excessivement morbide (pourquoi Emma et Charlie sont-ils aussi maladivement attachés à leur enfance ?). Mais c’est surtout un récit passionnant (scénariste, le dramaturge Thornton Wilder) qui s’amuse sans vergogne à brouiller les identités et les repères classiques entre bons et méchants. L’oncle Charlie n’est pas que mauvais : il apporte gaieté, mouvement et harmonie à cette famille constituée de monomaniaques ; il remplace même un peu un père pusillanime et puéril. La nièce Charlie n’est pas que bonne et innocente : adolescente égoïste, sa vision du monde est fort limitée, et son seul et réel but est que l’oncle Charlie quitte son monde « idyllique » avant qu’il n’y sème la perturbation. Et puis pourquoi se laisse-t-elle courtiser par l’homme qui traque son oncle bien-aimé ? La conclusion du film est d’une inquiétante ambiguïté : l’oncle Charlie n’était tout simplement pas fait pour ce monde, pourri ou non. Quant à l’innocente, elle a découvert elle aussi ce qu’est le Mal. C’est la seule chose que son oncle lui laisse.
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