Dans un lycée argentin sous la dictature, une jeune surveillante affirme sa sensualité face à l’ordre collectif.
Diego Lerman n’est pas inconnu des spectateurs français. On se souvient de son Tan de repente (2002), road-movie singulier racontant une histoire d’amitié et d’amour à trois entre une fille bien en chair et deux punkettes maigrelettes, relecture rock et mélancolique de Laurel et Hardy.
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L’Œil invisible reprend ce motif de la sexualité féminine, mais dans un contexte et un style très différents. Au road-movie en liberté de facture jarmuschienne succède un quasi-huis clos mis en scène avec une rigueur austère.
Nous sommes en 1982, année où la dictature du général Videla vacille, dans un lycée d’élite de Buenos Aires. Surveillante appréciée de la direction, Maria Teresa est chargée de surveiller discrètement les élèves, leur comportement, leurs conversations et de dénoncer les éventuels “déviants”.
Bien qu’étant “l’œil invisible” de l’institution, elle n’en reste pas moins une jeune femme de 23 ans : son cœur et son corps ne semblent pas indifférents à toute cette masculinité en herbe et en uniforme, et particulièrement à l’un de ces jeunes hommes.
Profitant de sa fonction, Maria Teresa espionne les toilettes, écoute les garçons uriner, s’enferme parfois dans une des cabines pour se masturber. Elle doit par ailleurs contenir l’attirance qu’éprouve pour elle son supérieur hiérarchique, un surveillant général vieux et bedonnant.
Placé sous les auspices de Freud, Marx, Bataille et Bresson, L’Œil invisible explore la vieille fracture entre la pulsion individuelle et la norme collective, la sexualité et l’ordre social, le ça et le surmoi, source du “malaise dans la civilisation”, conflit existant dans toutes les sociétés mais sans doute encore plus aigu dans les régimes dictatoriaux où la soumission à l’ordre social devient obsessionnelle.
Ce que montre Diego Lerman, c’est que la sexualité féminine – et le degré d’autonomie qu’on lui accorde – constitue l’un des meilleurs baromètres de l’indice démocratique d’un pays.
Si la mise en scène de Lerman est parfois un peu raide dans sa belle épure lango-bressonienne (géométrie des plans larges, prééminence de l’architecture du lycée, monochromie…), le film palpite néanmoins grâce à ses excellents acteurs, notamment la magnifique Julieta Zylberberg, qui passe de la plante désséchée à la fleur prête à s’ouvrir avec une belle économie de moyens.
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