Une fin de première semaine en forme de grand écart, entre les expérimentations du deepfaking de Sokourov et deux beaux portraits d’émancipation féminine.
C’est une fin de première semaine en forme de grand écart pour cette 75e édition de Locarno. Nous découvrions d’abord Fairytale, le dernier film du cinéaste russe Alexandre Sokourov, présenté en Compétition officielle dont l’argument narratif, aussi intriguant que périlleux, ressemble à une blague des Grosses Têtes : Hitler, Staline, Mussolini et Churchill réunis au purgatoire. Ce nouveau long métrage du cinéaste, qui s’était déjà penché sur la question des dirigeants totalitaires du 20e siècle dans sa trilogie du totalitarisme (Moloch sur Hitler en 1999, Taurus sur Lénine de 2001 et Le Soleil sur l’Empereur Hirohito en 2005), est un récit expérimental aussi fascinant que déconcertant, construit à partir d’images d’archives animées par la technique du deepfaking.
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Assez bluffante de maîtrise, cette technique mêlée à une somptueuse image brumeuse et grisâtre produit dans ses premiers instants un certain effet de sidération (il faut s’imaginer Staline se réveillant du tombeau aux côtés de Jésus, bientôt rejoint par Hitler qui leur rend visite). Étrange et mélancolique, la caméra de Sokourov scrute lentement ces âmes errant d’ennui. De ce tableau initial d’une grande beauté crépusculaire, la suite du film s’essouffle dans une répétitive passe d’armes entre les différents dirigeants s’envoyant des punchlines de récré ad nauseam. Au-delà de l’indéniable et audacieuse réussite formelle de l’entreprise, on peine à comprendre ce que le cinéaste russe veut raconter.
Le retour de Stella
À l’autre extrémité du paysage cinématographique, on retrouvait deux portraits de femme à la fois délicats et émouvants, signés de réalisatrices françaises qui mettent l’émancipation de leur personnage principal au centre de leur récit : Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde (Compétition officielle) et Petites de Julie Lerat-Gersant (Cineaste del presente).
Plus de 10 ans après les aventures de Stella, qui suivait l’enfance de la jeune fille à la fin des années 1970, le nouveau film de Sylvie Verheyde reprend le destin de son personnage durant l’année du bac, désormais incarnée par la magnétique Flavie Delangle (aperçue dans Skam). Contrairement à ses ami·es, Stella se fiche de l’obtention du diplôme et ne pense qu’à une chose : retourner danser aux Bains Douches afin de revoir André, beau dandy qui danse comme un dieu et dont elle est tombée amoureuse au premier regard.
Si le film brosse aussi le portrait de la situation complexe de la cellule familiale de l’adolescente (Benjamin Biolay reprend le rôle du père, tandis que Marina Foïs incarne désormais la mère), ainsi que le fossé de classe sociale avec sa bande d’amies issues d’un milieu plus bourgeois, Stella est amoureuse est entièrement voué à filmer l’unique désir de son personnage principal : danser pour retrouver le garçon qu’elle aime.
L’indépendance en ligne de mire
Grâce à l’épure extrême de son argument scénaristique, le film dessine avec beaucoup de justesse l’obstination du sentiment amoureux, l’aveuglement délicieux d’une passion, et trouve ses plus beaux moments dans ses longs tableaux de danse (bien aidée par une BO sans grand risque, mais redoutable : Indeep, New Order, Christophe, Tom Tom Club). Avec beaucoup d’intelligence, la cinéaste évite tous les poncifs du film sur la fête (addiction à l’alcool et aux drogues) pour ne garder que la vitalité du sentiment de son héroïne et l’immense plénitude que procure la vie nocturne. Et s’il parle d’amour, le film saisit surtout la lente émancipation de son personnage qui, bien qu’amoureuse, n’en perd pas totalement sa lucidité et, surtout, son indépendance.
Le récit d’une indépendance, c’est aussi le cœur du film de Julie Lerat-Gersant. Plus académique dans son écriture, mais parcouru par une mise en scène habitée qui le distingue d’un certain naturalisme pantouflard à la française, le film suit la trajectoire de Camille, enceinte à 16 ans, qui se retrouve placée dans un centre maternel par le juge des enfants. Portrait d’une femme, mais aussi film de bande, le film se distingue par la justesse et l’intériorité profonde de ses personnages secondaires : en tête, la mère de Camille (Victoire du Bois) et l’éducatrice du centre (Romane Bohringer). Comme chez Verheyde, tout la force du film est de raconter le chemin vers l’émancipation. Vivre d’abord pour soi, choix qui n’est pas incompatible avec l’expérience du sentiment amoureux. Une vision résolument moderne.
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