Quand Rui Nogueira, en 1970, se lance dans la mise en œuvre de ce livre d’entretiens dont le principe est “identique à celui du livre de Truffaut sur Hitchcock”, Jean-Pierre Melville qui mourra avant la sortie de l’ouvrage a une image de marque bien établie : avec son Stetson et son imperméable, il […]
Quand Rui Nogueira, en 1970, se lance dans la mise en œuvre de ce livre d’entretiens dont le principe est « identique à celui du livre de Truffaut sur Hitchcock », Jean-Pierre Melville qui mourra avant la sortie de l’ouvrage a une image de marque bien établie : avec son Stetson et son imperméable, il est le Jack Palmer du cinéma d’auteur, le grand frère américanophile et ingrat de la Nouvelle Vague, un mégalomane de droite, péremptoire et un peu ridicule. Clichés protecteurs. Car derrière les affirmations fracassantes, les listes délirantes (les soixante-trois pourquoi soixante-trois ? meilleurs cinéastes américains d’avant-guerre enfilés comme des perles !), les déclarations d’admiration (Cocteau, Herman Melville « l’autre », comme dirait Delon), se profile peu à peu le visage d’un homme semblable à ses films : sensible, peu sûr de lui, de son talent et de son intelligence, sans une once d’humour. Il tente en permanence de se rassurer et comme les héros de ses films se regarde parfois dans un miroir, cherchant dans son œuvre passée les traces de sa réussite. Et il semble se dire, en simple technicien : « Bon, là, c’est pas terrible, mais là, quand même, c’est génial. » Comme les résistants de L’Armée des ombres, qui, pour faire triompher la Liberté, étaient contraints de commettre des actes contraires à leur volonté (exécuter un traître ou la femme qu’ils admiraient le plus) et constamment prisonniers de la douleur physique, de leur devoir, du froid ou de leur instinct de survie, Melville, pour assurer sa liberté artistique, devait supporter la solitude et ses vicissitudes : à la fois seul maître mais aussi seul responsable de ses studios de la rue Jenner. Ainsi, comme par folie mimétique, le monde entier finissait par lui ressembler, et ses films avec. La vérité est nue, mais le regard du créateur, lui, voit des vêtements. Compter sur sa capacité à la voir nue malgré toute sa bonne volonté serait comme prendre au pied de la lettre une fille qui vous dit « Tu sais, je suis une fille sérieuse. » Un autre cliché qui cache le précédent, sans doute. Melville écrivait « Ce qui est exemplaire, pour un créateur, c’est que tout ce qu’il a conçu soit condensable en dix lignes de vingt-cinq mots chacune qui suffisent à expliquer ce qu’il a fait et ce qu’il était.« Paradoxalement, c’est en cela que le livre de Rui Nogueira est une réussite : il faut heureusement plus de deux cent cinquante mots pour montrer le génie de Melville.
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