Le grand frère est parti. Il a quitté sa famille, sa bande, son quartier (Brooklyn, Brighton Beach, Little Odessa). Juif russe issu d’une vague récente d’immigration, coincé entre un tableau de Klee et le cowboy de Marlboro, il a tenté d’échapper à la schizophrénie en s’enfuyant vers l’Amérique, la vraie. En d’autres temps, quand le […]
Le grand frère est parti. Il a quitté sa famille, sa bande, son quartier (Brooklyn, Brighton Beach, Little Odessa). Juif russe issu d’une vague récente d’immigration, coincé entre un tableau de Klee et le cowboy de Marlboro, il a tenté d’échapper à la schizophrénie en s’enfuyant vers l’Amérique, la vraie. En d’autres temps, quand le cinéma américain faisait encore semblant d’y croire, il aurait peut-être pris la peine de gravir un à un les échelons du rêve. Mais le mythe a changé et le grand frère a préféré la voie rapide. Il est devenu un tueur. Le petit frère ne fait qu’espérer le retour du proscrit pour pouvoir enfin partir avec lui. Dans ses rêves, le grand frère a les traits en Technicolor de Burt Lancaster.
La force du film consiste à inscrire ce récit primitif du « coming home » dans un contexte culturel précis (en gros, le même que celui du Il était une fois en Amérique de Leone) et dans une topographie strictement délimitée. L’emploi de l’écran large montre les personnages perdus entre ciel et terre pour les plans d’extérieur et irrémédiablement séparés les uns des autres lors des scènes intimistes. James Gray ordonne avec une telle maestria les déplacements dans cette portion de ville qu’il arrive à transformer le territoire communautaire en un véritable espace mental, commun à tous les protagonistes.
A première vue, Little Odessa semble se rattacher à la solide tradition du film noir ethnique. On pense souvent à Mean streets de Scorsese. Toutefois, le traitement horizontal de l’espace, l’opacité butée de Tim Roth et la question centrale du film (« Qu’est-ce que faire partie d’une communauté ? ») indiquent clairement quel genre Gray a voulu travailler : le western fordien. Il multiplie les citations, dont la plus belle est la scène de l’enterrement de la mère dans le-petit-cimetière-sur-la-colline tout droit sorti de My darling Clementine. Gray construit son film sur la confrontation meurtrière d’un professionnel hawksien (incarné par un acteur tarantinien privé de tchatche) et d’une communauté fordienne. Mais, loin du John Wayne de L’Homme qui tua Liberty Valance, qui était conscient de la nécessité de sa disparition pour que la civilisation progresse, Joshua ne laissera derrière lui que des cendres. L’errance doit reprendre.
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