Le portrait drôle et sensible d’un écrivain misanthrope par un grand espoir du jeune cinéma new-yorkais.
Repéré dès son second long métrage, The Color Wheel, Alex Ross Perry est une personnalité un peu à part dans le cinéma indépendant américain. Son goût pour les tournages en 16 mm, son tropisme pour la ville de New York et ses petites histoires de couples qui s’aiment et se déchirent dans l’intimité d’une chambre le feraient presque passer pour un énième avatar de la tendance débraillée du mumblecore. Mais lui est ailleurs : plus solitaire, plus complexe, il invente un cinéma de contrebande, qui rejette les effets de mode pour dessiner un territoire hyper introspectif, voire mental, assez proche au fond de l’œuvre torturée de Ronald Bronstein (Frownland).
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Dans son nouveau film, il raconte quelques saisons de la vie d’un antihéros pathétique, Philip (incarné par Jason Schwartzman, qui trouve là un de ses plus grands rôles), un écrivain talentueux mais inadapté à la vie en société. Narcissique, bourré de complexes et de préjugés, il traverse pour ne rien arranger une sérieuse crise existentielle alors qu’il publie son nouveau roman, et fait vivre un enfer à sa copine, Ashley (Elisabeth Moss), artiste photographe plus ou moins compatissante.
Engagé dès le début sur un rythme déchaîné, le film semble d’abord épouser le point de vue de son personnage principal et fait du cynisme son moteur comique, creusant un humour maso dans un flux de monologues caustiques et d’hilarants duels oratoires. De toute évidence inspiré par Woody Allen, dont il décalque le style de Maris et Femmes, Alex Ross Perry radicalise ici le motif de l’intellectuel juif névrosé jusqu’à atteindre un point de saturation, où il frôle la complaisance et la pose. Mais la réussite du film tient aux brusques écarts narratifs qu’il opère alors, cherchant ailleurs, dans d’autres histoires et d’autres personnages, la vérité de son héros misanthrope.
Lorsque Philip prend la fuite chez son idole, un écrivain de la même famille nihiliste (Jonathan Pryce), le récit se décentre et trouve une nouvelle respiration à la faveur de superbes figures féminines. Il y a d’un côté Ashley, la copine soudain magnifiée par une caméra follement désirante ; et puis Mélanie, Yvette, Emilie, de simples conquêtes de passage ou des enfants délaissées. Avec elles, le film renonce enfin à sa morgue et atteint une vibration plus émouvante, celle des romances impossibles et tragiques qui s’accumulent dans la vie du héros.
C’est là qu’il faut chercher un lien avec l’œuvre de Philip Roth : dans ces portraits d’hommes paniqués incapables d’aimer et d’entendre les femmes (“Ecoute Philip”, clame le titre). Une belle scène de rupture, dans l’entrebâillement d’une porte, viendra ainsi conclure cette histoire de couple aux envies désaccordées, laissant le héros à sa solitude et ses livres.
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