Le Belfast d’Hollywood ne se résume pas à Titanic : l’écrivain Glenn Patterson explore la relation difficile du cinéma au conflit nord-irlandais.
L’Irlandais (A Prayer for the dying) est le plus mauvais film jamais réalisé sur l’Irlande du Nord. Qui l’affirme ? Le scénariste, un (très bon) dramaturge de Belfast du nom de Martin Lynch, qui est aussi devenu pour l’occasion le répétiteur de Mickey Rourke question accent. De cette expérience, il conserve le souvenir suivant… Mickey et lui se baladent en voiture à travers West Belfast : que des murs peints de l’IRA et des slogans du Sinn Fein. Ils tournent à droite, font quelques centaines de mètres et soudainement les couleurs changent : du vert, blanc et orange du drapeau irlandais, on passe au rouge, blanc et bleu. Les peintures murales représentent toujours des hommes en armes et en treillis, mais les sigles sont différents : UDA, UVF… « Qu’est-ce que c’est que ça ? », demande Mickey. « Oh, c’est un quartier protestant », répond Martin. « Un quoi ?! », s’exclame Mickey.
De fait, la majorité des films tournés sur l’Irlande du Nord au cours de ces trente dernières années ont très largement ignoré ces gens qu’on appelle ici les protestants, ainsi d’ailleurs que tous les catholiques qui ne sont pas membres de l’un des groupes de terreur républicains. Le monde extérieur, ou plutôt la partie de ce monde qui fait des films, semble obsédée par la figure du « combattant de la liberté » irlandais. Bien sûr, on est censé désapprouver, par exemple Brad Pitt dans Ennemis rapprochés (The Devil’s own) et en même temps, il est si torturé, tellement glamour…
A propos d’Ennemis rapprochés, on ne peut pas s’empêcher de noter combien peu de gens réalisant des films sur ce pays ont l’intention d’y mettre les pieds. Même un réalisateur d’Irlande du Sud comme Neil Jordan a préféré aller tourner ailleurs Angel et The Crying game, deux de ses films qui traitent de l’Irlande du Nord.
Il y a, bien entendu, de bonnes raisons à cela : le danger perçu pour les acteurs et l’équipe de tourner dans un endroit pas totalement privé de violence, et les surcoûts d’assurance qui en résultent ; ou encore les incitations fiscales offertes aux réalisateurs par le gouvernement de république d’Irlande. Récemment pourtant, on a commencé à se dire que l’Irlande du Nord que voulaient dépeindre ces films n’existait plus. A ma connaissance, deux productions au moins un téléfilm, You, me and Mary et Resurrection man ont dû se déplacer à Manchester pour retrouver les formes du « vieux Belfast ». A leur crédit toutefois, ces deux films ont été écrits par des auteurs d’Irlande du Nord : maintenant au moins, nous écrivons nos propres histoires. L’année prochaine sortira Divorcing Jack, du romancier local Colin Bateman : le premier long métrage de cinéma entièrement tourné à Belfast.
Autre changement important survenu ces dernières années : la prolifération de petits films sans budget, tournés par une nouvelle génération de réalisateurs et d’auteurs. Les très précoces cousins Hughes, du comté d’Armagh, ont financé leur premier long métrage, The Eliminator, pour le prix moyen d’un déjeuner de producteur. Avec ces jeunes cinéastes qui commencent à livrer leurs versions filmées de la vie ici, l’Irlande du Nord à la sauce Hollywood apparaît de plus en plus cliché et, avec ou sans Brad Pitt, plutôt grotesque.
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Glenn Patterson Fat lads (Minerva).
Glenn Patterson
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