La responsable d’un centre de loisirs napolitain sème le trouble en hébergeant la compagne d’un tueur de la Mafia. Une partition superbement écrite.
Giovanna, (formidable Raffaella Giordano, plus connue comme danseuse et chorégraphe), la cinquantaine, dirige d’une main de fer un centre de loisirs situé dans une banlieue populaire de Naples. Ce lieu est un havre de paix tacite, une zone franche, un lieu un peu sacré (comme les églises d’autrefois). Il est protégé par la police et incarne presque une résistance à la violence extérieure. Mais on sent aussi qu’il n’est toléré par la Camorra que tant qu’il reste ce qu’il est : un terrain de jeu pour enfants. Sentir, faire sentir : c’est tout le talent du film, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier, que de montrer sans tout expliquer.
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Un jour, Giovanna recueille une femme qu’elle ne connaît pas, Maria (Valentina Vannino), et ses deux enfants sans logis, dans un minuscule appartement dont dispose le centre. Giovanna ignore que Maria, qui ne se montre guère aimable, est l’épouse d’un tueur de la Camorra qui vient de se tromper de cible et est recherché par la police. Ce type doué pour le crime, venu se planquer avec sa famille dans ce local exigu, est très vite arrêté en plein milieu du centre de loisirs.
Maria, un temps chassée des lieux, revient s’y installer avec ses enfants, sans demander la permission à quiconque. Giovanna laisse faire, au grand dam des membres de son équipe. Quand la fille aînée de Maria commence à participer aux jeux du centre, les parents des autres enfants manifestent leur désapprobation et refusent que leur progéniture continue à le fréquenter. Pour eux, le ver est dans le fruit. Giovanna, qui possède pourtant une force de conviction et une maîtrise des rapports humains admirables, subit la pression de ses amis. Elle est prise dans un éternel dilemme moral : doit-elle prendre le risque de détruire la cohésion de la communauté, au nom d’une désobéissance aux lois de l’hospitalité qui ont toujours régi l’existence du centre ? Un lieu qui vivait sur un statu quo et se retrouve maintenant en danger. D’autant plus que la Camorra, filmée de loin dans la personne de deux femmes, y pénètre bientôt.
Le long métrage de Leonardo Di Costanzo (cinéaste né à Ischia, en face de Naples, déjà auteur du très beau L’Intervallo) est un film tenu de bout en bout, admirable d’intelligence et d’écriture. Il parvient à concentrer les réalités quotidiennes de l’Italie du sud dans un seul lieu, assez ignoré par le cinéma, et dont il décrit la vie animée et amusante avec une vérité évidente.
Le cinéaste, qui vient du documentaire, ménage dans son film plutôt dramatique des pauses admirables et inattendues où la vie et la joie surgissent soudain au milieu des immeubles insalubres, sans que ces parenthèses ne pèsent sur le récit et nous éloignent de son noyau. Sa mise en scène n’est pas dans le non-dit (au contraire, les gens parlent beaucoup et réfléchissent entre eux), mais dans la suggestion permanente. Tout se ressent, y compris le danger : lorsque Giovanna rentre chez elle le soir, qu’elle est seule dans la rue, on s’attend au pire, mais il n’advient pas, parce que le danger est invisible et arbitraire. Les acteurs, notamment les enfants, sont extrêmement bien dirigés et filmés avec respect. Après quelques scènes, la géographie du centre de loisirs nous devient familière, tout est très dessiné, construit.
Les liens de Giovanna et Maria évoluent peu à peu, sans que rien de définitif n’advienne jamais. Il n’y a pas d’histoire d’amitié comme on pourrait le voir dans un film bébête. Mais on comprend très vite (et sans doute le pressentent-elles) qu’elles ont quelque chose en commun : Giovanna est une femme du nord de l’Italie (son accent est très marqué) et Maria une paria. A l’image du centre lui-même, elles sont toutes deux, à leur manière, des intrusa.
L’Intrusa de Leonardo Di Costanzo (It., Sui., Fr., 2017, 1 h 35)
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