En marge des syndicats et des partis, la désobéissance civile s’amplifie en France. Sans-papiers, écoles, entreprises : une enquête de Paul Moreira explore ces terrains d’actions directes.
Tous les spécialistes de l’âme le savent depuis Freud : avant de savoir dire oui, il faut savoir dire non. Non à l’injonction brutale, à l’autorité illégitime, à l’ordre injuste, aux coups de force… De la tragédie grecque à Julien Coupat, l’insurrection reste une stratégie intime et politique moins radicale en elle-même que radicalement portée par sa propre conscience lorsqu’elle est heurtée par des lois iniques. Pour Paul Moreira, auteur d’une enquête sur les visages actuels des insurgés et sur les formes de leurs actions, cette insurrection serait “silencieuse”, parce qu’encore discrète. Discrète, mais directe. C’est cette insurrection “qui vient” (pour reprendre le titre du manifeste culte des insurgés proches de Coupat ou de la revue Tiquun) qu’explore son nouveau documentaire. De l’entreprise à l’école gronde aujourd’hui une révolte sourde, dont Moreira prend le pouls. A la limite de la légalité, de plus en plus de citoyens ordinaires ont décidé de désobéir, en prolongeant un vieux courant de la lutte politique, très connue dans les pays anglosaxons : la désobéissance civile.
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Un mode d’action revenu au goût du jour en France il y a une quinzaine d’années à la faveur de la question des sans-papiers, désormais investie par le Réseau éducation sans frontières. Ces désobéissants qui accueillent chez eux des sans-papiers se confient ici à la caméra de Paul Moreira, qui s’attarde aussi sur le combat d’un député UMP en rupture de ban avec son parti, Etienne Pinte, en guerre contre les chasses à l’homme…
Au-delà des sans-papiers, cette mouvance de la désobéissance s’est aussi bien structurée qu’étendue à de multiples champs sociaux. Moreira a rencontré l’un de ses leaders médiatiques, Xavier Renou, qui tel un Robin des bois au secours des déshérités et des sans-voix, propose de véritables stages d’action directe non-violente, ou coordonne des actions auprès de salariés en conflit ouvert avec leur direction (dans ce documentaire, les employés de Numericable sont coachés par un spécialiste du sit-in et de la mise en scène médiatisée des grèves).
Le journaliste a aussi filmé des désobéissants à La Poste, où des employés s’élèvent contre les dérives commerciales de leur entreprise, en contradiction selon eux avec ses missions de service public. Chez EDF, des agents protestent contre la marchandisation du service public et ont imaginé une méthode sauvage pour réduire les factures de clients en bloquant l’application de la tarification jour. Au nom de leur refus d’être complices d’un abus de pouvoir, ils sabotent leur outil de travail. A l’Education nationale, cette stratégie de rupture s’exerce tout autant, comme le souligne Moreira à travers le cas de ce directeur d’école maternelle, Bastien Cazals, en colère contre les réformes Darcos et l’appauvrissement de l’éducation… Tenus d’obéir, dans le respect d’une “société intégrale” qui exige la soumission au fait du pouvoir (selon l’expression du philosophe Cédric Lagandré dans son nouvel essai La Société intégrale, qui propose un “mode d’emploi” pour la désobéissance), tous les insurgés ici approchés dessinent les contours d’une voie politique ultime, dernier sursaut des consciences blessées par l’ordre dominant.
L’Insurrection silencieuse Documentaire de Paul Moreira. Lundi 14 septembre,
20 h 50, Canal+
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