Promenant son joli minois et sa bouille mutine sur les plateaux, dès son plus jeune âge, Lindsay Lohan était irrésistible et promise à une brillante carrière d’actrice. Mais d’incarcérations en cures de rehab, elle peine aujourd’hui à refaire surface. Elle n’a pourtant que 27 ans.
Juillet 2012 : sur les hauteurs de Malibu, une petite équipe de cinéma fauchée a réussi à obtenir on ne sait comment l’autorisation de tourner dans une sublime villa typique du coin, baies vitrées sur le Pacifique à perte de vue, petit escalier qui descend à la piscine. Cela fait deux heures maintenant que l’actrice principale est enfermée dans le vaste dressing. On doit tourner une scène de sexe à quatre. Soudain, elle a peur. Le réalisateur est furieux, il s’époumone à travers la porte : « C’était dans ton contrat, tu le savais, tu l’as signé ! » Il s’appelle Paul Schrader, il en a vu d’autres, et pourtant il commence à sérieusement baliser. La lumière du petit matin va bientôt poindre et emplir la chambre, il n’y a plus de temps à perdre.
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Mannequin à 3 ans, star de la télé à dix
L’actrice sort mais refuse d’enlever son peignoir. Alors Schrader, dans un accès de folie lucide, enlève ses propres vêtements. Jusqu’au dernier. Nu comme un ver, il lui lance : « Je fais ça pour que tu te sentes à l’aise, allez, on y va maintenant. » Comme par enchantement, elle fait glisser son peignoir à terre. Dans un souffle, le moteur est lancé, la scène tournée en une seule prise de quatorze minutes. En pleine action, l’actrice décoche un foudroyant regard caméra assorti d’un sourire dément. Derrière la caméra, Schrader lui sourit en retour. Mais qui donc est cette fille qui a mis le scénariste de Taxi Driver à poil ? Elle s’appelle Lindsay Lohan. Elle est née rouquine, mignonne à croquer. Elle a décroché ses premiers contrats de mannequin à 3 ans, son premier rôle à la télé à 10, son premier succès en salle à 11. On lui a prêté des liaisons avec Bruce Willis, Jude Law, Jared Leto, Benicio Del Toro, Colin Farrell, mais elle a vécu un grand amour destructeur avec une fille aux cheveux courts et au visage émacié, la DJ Samantha Ronson. Cela fait longtemps qu’on a arrêté de tenir le compte de ses séjours en centre de désintox, en prison, les peines de travaux d’intérêt général. Elle a depuis toujours une voix cassée à se damner, une bien jolie silhouette, un sourire de petite fille qui n’aurait pas encore perdu ses dents de lait. Lindsay Lohan a eu 27 ans la semaine dernière. Elle a fêté son anniversaire en rehab. Née le 2 juillet 1986 à Long Island, New York, elle passe son enfance à courir les castings avec sa mère. Ça marche du tonnerre : l’agence Ford la signe comme mannequin-enfant.
On la voit alors dans des pubs pour Calvin Klein et Pizza Hut. A 11 ans, elle décroche devant 4 000 candidates le rôle principal d’un film Disney, A nous quatre. Elle doit y jouer des jumelles séparées à la naissance qui se retrouvent par hasard en colonie de vacances et décident d’intervertir leurs rôles lorsqu’elles retournent chez leurs parents, l’une en Angleterre, l’autre en Amérique. Elle y est complètement irrésistible, maniant l’accent anglais dans la moitié des scènes avec une aisance folle, promenant à l’aise son petit minois constellé de taches de rousseur et son énergie rieuse. Son sens du timing comique impressionne la réalisatrice Nancy Meyers qui voit en elle une Diane Keaton junior…
7,5 millions de dollars par film
Disney l’engage pour un contrat de trois films. Elle enchaîne assez vite avec Freaky Friday, comédie enlevée où elle « échange » son enveloppe corporelle avec sa mère, interprétée par Jamie Lee Curtis. Là encore, elle fait des merveilles en quadra coincée dans un corps d’adolescente moyenne. A 18-19 ans, elle est l’actrice la mieux payée de son âge : 7,5 millions de dollars par film. Elle s’émancipe de Disney avec Lolita malgré moi, teen-movie parodique et malin écrit par une des membres du mythique show satyrique Saturday Night Live, Tina Fey. Ensuite, elle décide de tâter du cinéma d’auteur, joue et chante dans l’ultime film de Robert Altman, The Last Show. Et donne la réplique à Sharon Stone dans une très belle scène chez le coiffeur dans Bobby, un film qui n’est bon que par endroits, et seulement grâce à elle.
Nous sommes en 2006 : Lindsay Lohan est devenue un de ces phénomènes teen qui fascinent l’Amérique, une petite fiancée idéale. Elle déménage à Los Angeles, découvre l’ivresse de la vie en cabriolet, du shopping en folie et des open-bars permanents. Les paparazzis suivent. Ensuite, c’est simple, on se croirait dans le catalogue de la Redoute, section « Hollywood Trash » : arrestations, excès de vitesse, sachets de cocaïne, délits de fuite, bracelet magnétique, liberté conditionnelle, anorexie, chirurgie esthétique, même l’inévitable vol de bijoux. Et, bien sûr, des séjours en cure de désintoxication répétés (elle en a six ou sept à son actif), suivis de mea culpa émouvants, de prises de conscience définitives, de promesses non tenues. Elle perd ses contrats à la pelle, se fait attaquer en justice par les producteurs fatigués de ses nombreuses absences pour cause de gueules de bois et de je-m’enfoutisme. Elle est devenue ce qu’on appelle dans le jargon une « Hollywood kryptonite ». Attention, starlette dangereuse. L’argent ne rentre plus. Dans ces cas-là, c’est simple : un petit coup de fil aux paparazzis et, moyennant 25 000 ou 30 000 dollars – 50 000 dollars si c’est en maillot de bain –, elle leur « offre » une séance de photos volées.
Sa vie est un feuilleton
A bien y réfléchir, ces films Disney roses et mignons, avec leurs pitchs rigolos (jouer des jumelles, jouer une adulte dans un corps d’ado), n’étaient-ils pas un brin perturbants pour un petit être en pleine construction ? Mais il y a autre chose : les parents de Lindsay. Et c’est tout un roman. Entre sa mère qui se déchaîne en boîte de nuit avec sa fille et son père, ex-trader de Wall Street qui a fait de la prison pour détournement de fonds et alcool au volant, il faut grandir vite. Ils ont divorcé il y a quelques années mais continuent de se déchirer régulièrement par caméras de TMZ (le site de gossips le plus puissant et souvent le mieux renseigné) interposées. Elle, avec ses longs cheveux blonds et son visage d’ancienne reine de beauté, lui, assez séduisant si l’on aime le genre second rôle dans une série de flics, ils donnent des nouvelles de Lindsay ou reviennent sur leurs griefs passés, toujours disponibles, toujours pros. Leur feuilleton semble bien leur plaire.
Pendant ce temps, le seul film dans lequel Lindsay joue depuis quelques années, c’est celui où elle essaie de récupérer sa carrière. Tout le monde a oublié que c’est une sacrément bonne actrice, ou plutôt tout le monde s’en fout. Ceux qui lisent ses frasques dans les tabloïds n’ont souvent pas vu un seul de ses films. Mais il suffit de revoir les dernières images de The Last Show pour comprendre que le vieux renard Altman ne pouvait littéralement pas détacher ses yeux d’elle. Et, malgré l’épisode dans le placard à Malibu et mille autres péripéties typiquement lohaniennes survenues pendant le tournage de The Canyons, Paul Schrader a vécu des moments similaires l’été dernier, ainsi que le racontait une passionnante story publiée dans le New York Times intitulée « Voici ce qui vous attend quand vous castez Lindsay Lohan dans votre film ». 1
« On supporte tout le bordel qui l’entoure »
Quand elle est là, quand elle ne s’échappe plus, et joue, tout le monde retient son souffle sur le plateau, aimanté par ses grands yeux verts et son intensité naturelle qui s’est peu à peu teintée de tristesse intermittente. « C’est pour ça qu’on supporte tout le bordel qui l’entoure. On peut toujours faire des mauvais films avec des actrices qui n’arrivent pas en retard. Mais on n’obtient pas ça. Tout le reste, ce n’est que du bruit », lâchait Schrader après une de ces prises miraculeuses qui font du film l’un des plus excitants du moment (scénario de Bret Easton Ellis, la porno-star James Deen dans le rôle masculin). L’actrice, qui a accepté un cachet de 100 dollars par jour pour le film, devrait sortir de cure début août, présenter The Canyons à Venise en septembre. On a envie d’y croire, même si…
Régulièrement, Lindsay Lohan est invitée au Late Show de David Letterman, comme pour prendre le pouls de sa propre déglingue. Son dernier passage, en avril, est presque de l’ordre de la performance arty. La voilà qui s’avance, fragile sur ses platform-shoes, en robe dos nu à grosses fleurs fifties, elle a une façon de se voûter en saluant son hôte qui rappelle la désinvolture des grandes héroïnes de film noir à fume-cigarettes, type Barbara Stanwyck. Mais elle est un peu bouffie, ses lèvres ont encore gagné une taille, et sa voix éthylo-tabagique a dépassé, de très loin, la cassure magnifique d’antan.
Cruauté des temps, il suffit de quelques clics sur YouTube pour passer de ce moment à une prestation passée, en 2006 : rayonnante et timide, elle glousse aux questions de Letterman qui s’est mis en tête ce jour-là de se documenter sur la vie sentimentale des jeunes filles. Entre deux tagada-tsoin-tsoin du big band de l’émission, elle dit qu’elle appréhende de fêter ses 20 ans. Elle ne pense pas si bien dire, 2006 étant l’année du virage à cent à l’heure.
« Mince, j’espérais que ce serait de la vodka ! »
Retour en 2013 : Letterman exagère, la pousse à parler, de ses démons, de son entrée imminente en rehab, elle sort sa salade habituelle (veut retrouver son travail, voit ça comme une chance, etc.) ; elle écrase une larme quand il la félicite d’accepter encore de venir sur ce plateau après toutes les méchantes blagues qu’il sort régulièrement sur elle. Avant de se ruer sur la tasse qui trône sur le bureau de l’animateur, d’en boire une gorgée et de dire : « Mince, j’espérais que ce serait de la vodka ! » Quelques secondes se suspendent avant que Letterman et le public n’éclatent d’un rire interloqué.
http://www.youtube.com/watch?v=gEF53jCmL3c
Voilà, Lindsay Lohan fait avec ce qu’il lui reste : elle cultive ce truc bien à elle d’accueillir les moqueries en faisant encore mieux elle-même, elle crée du récit, de la distance. Et même une certaine beauté. Elle le sait bien, elle est aujourd’hui la meilleure commentatrice de sa propre vie. En 2010, elle rencontrait la journaliste de Vanity Fair, Nancy Jo Sales (l’auteur de l’article sur le gang des cambrioleuses minijupées qui a inspiré The Bling Ring de Sofia Coppola). A la fin de l’entretien 2, alors qu’elle rajustait sa queue de cheval, à l’époque blonde platine, une mèche d’extensions s’est détachée. Embarrassée, Lindsay ramassa le postiche et puisa, on ne sait où, la ressource de transformer sa gêne en punchline autobiographique : « Eh bien, on dirait que je tombe littéralement en morceaux. »
1. « Here Is What Happens When You Cast Lindsay Lohan in Your Movie » de Stephen Rodrick, New York Times, 13 janvier 2013, dont est tirée aussi l’anecdote qui ouvre cet article. 2. « Adrift… », Vanity Fair, octobre 2010
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