Dans les premiers articles de presse rendant compte du meurtre d’Ilan Halimi, on était frappé de voir systématiquement mentionnée la référence à un film : L’Appât, de Bertrand Tavernier. Lequel empruntait son argument à un roman de Morgan Sportès inspiré d’un fait divers criminel des années 80. Vertige de la réversibilité entre fiction et fait […]
Dans les premiers articles de presse rendant compte du meurtre d’Ilan Halimi, on était frappé de voir systématiquement mentionnée la référence à un film : L’Appât, de Bertrand Tavernier. Lequel empruntait son argument à un roman de Morgan Sportès inspiré d’un fait divers criminel des années 80. Vertige de la réversibilité entre fiction et fait divers, retour fulgurant du réel excédant les coutures de sa représentation, cela a été dit. Sur certains forums de discussion, des internautes vont même plus loin, parlant d’influence néfaste de certains films livrant des scénarios criminels clés en main aux aspirants malfaiteurs. Même s’il n’est pas du tout établi que les criminels aient vu L’Appât, on voit poindre à nouveau un soupçon sur le supposé pouvoir d’effectuation de la violence à l’écran avec, en arrière-pensée, le voeu d’une police préventive des images. “L’image peut-elle tuer ?” se demandait Marie-José Mondzain, tâchant précisément de déconstruire cette croyance. Il y a en tout cas quelque chose de tristement ironique dans le fait que le film de Bertrand Tavernier soit à son tour emporté dans la tourmente de cette mauvaise polémique. Car précisément, L’Appât, en relatant les agissements meurtriers de trois jeunes gens, se prévalait aussi d’un discours sur les effets de la représentation de la violence. Une scène du film montrait en effet les deux garçons de la bande regarder avec ferveur Scarface de Brian De Palma. Repus de films de gangsters, les deux garçons rêvent sur des success-stories criminelles, où la violence est tellement esthétisée que ses effets dans le réel sont escamotés. C’est le discours sous-jacent de cette scène, assez lourdement explicative. A cette supposée “mauvaise” violence (spectaculaire, déréalisée) du cinéma américain, Bertrand Tavernier oppose dans L’Appât un filmage ultraréaliste. La mort du personnage d’avocat et les violences physiques qu’il subit sont filmées dans la durée, presque en temps réel, de façon concrète et sèche. Aucun effet de séduction ici. Tavernier reconstitue l’endurance d’un corps au supplice, n’élude pas le détail de sa souffrance, la crise de panique des agresseurs avec la conviction probable que cette représentation-là, aussi peu idéalisée, ne saurait être que dissuasive. Il y a une grande naïveté dans cette croyance en la possibilité de flécher la réception d’une image. L’hypothèse que ce cinéma d’éducateur bien intentionné ait pu “inspirer” de véritables faits criminels ne plaiderait en tout cas pas du tout en la faveur de tous les fantasmes de légifération, voire de pénalisation, des images. Elle dit au contraire qu’entre leur intention et la façon dont celui qui les regarde se les approprie, demeure un gouffre, et qu’aucune fiction n’est responsable du trajet qu’elle effectue dans l’imaginaire.
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