« L’Illusion comique » de Corneille vu par Mathieu Amalric, et jouée par la Comédie-Française, c’est ce vendredi soir sur France 2.
Après son Tournée triomphal, le nouveau film de Mathieu Amalric répond à une commande de la Comédie-Française. Chaque saison depuis trois ans, la « Maison de Molière » demande à un réalisateur de filmer, pour la télévision, une pièce tirée de son répertoire : la première année, Claude Mouriéras avait réalisé l’adaptation du Partage de midi de Claudel. L’année dernière, Olivier Ducastel et Jacques Martineau s’étaient attaqués à Juste la fin du monde, de Jean-Luc Lagarce.
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Une tragi-comédie en forme de jeu d’illusions
Cette saison, Mathieu Amalric a choisi d’adapter L’Illusion comique, œuvre de jeunesse de Pierre Corneille. Grâce à ses dons de magie, Alcandre fait voir à Pridamant la vie de son fils disparu dix ans plus tôt : suivant du capitan Matamore, Clindor vit une passion secrète avec Isabelle. A la suite d’une altercation avec le gentilhomme auquel Isabelle était promis, il blesse mortellement celui-ci. Emprisonné pour être exécuté, Clindor sera libéré grâce à Isabelle. Mais l’amour du jeune homme pour celle qui lui a sauvé la vie s’évanouit peu à peu ; il courtise d’autres femmes, et sa relation avec une princesse le mènera jusqu’à la mort. Prêt à se suicider après la découverte de cette tragique nouvelle, Pridamant apprend à temps que toute cette histoire n’était qu’une pièce de théâtre et que son fils, bien vivant, est comédien.
Pour la réalisation de ce film, la Comédie-Française avait fixé des règles : ne se servir que des mots de l’auteur, confier les rôles aux comédiens qui les avaient déjà interprétés lors des représentations théâtrales, tourner à l’extérieur du théâtre en douze jours.
Le théâtre devient de l’image dans l’image
Mathieu Amalric a su trouver un incroyable espace de liberté à partir de ces exigences. En transposant la pièce dans un cadre contemporain, l’acteur-réalisateur a fait d’Alcandre le concierge d’un hôtel, où il introduit Pridamant pour lui faire voir la vie de Clindor grâce à des enregistrements vidéos.
Cette idée constitue la première réussite de l’adaptation d’Amalric ; le jeu de mise en abyme est conservé et ce qui était du théâtre dans le théâtre devient de l’image dans l’image.
Le spectateur rentre ainsi au cœur du dispositif, et ce, dès la scène d’ouverture : Alcandre se réveille. Il s’assoit sur son lit, se racle la gorge, fait quelques essais de voix. Il prononce, les yeux dans le vague, une première réplique, tirée de la dernière scène de la pièce : « N’en croyez que vos yeux ». Puis il regarde la caméra –nous regarde– et répète le même vers une nouvelle fois.
Le ton est donné : nous serons à la fois mis à distance, conscients de n’être que des spectateurs, et pleinement dans l’action, croyant à la fiction que l’on regarde.
Les dialogues en vers, tout autant déstabilisants que naturels, renforcent cette impression contradictoire. Explorant une troisième voie entre l' »artificiel théâtral » et le « naturel cinématographique », les comédiens (Loïc Corbery, Denis Podalydès…) excellent. Mention spéciale à Suliane Brahim (Isabelle), qui donne des frissons lorsqu’elle déplore la mort prochaine de Clindor en détruisant une voiture à coups de club de golf.
Ses acteurs, Mathieu Amalric les filme souvent dans des plans sans aucune profondeur de champ. Les images sont très plates, si bien que les personnages semblent n’exister qu’à l’état d’apparence. Leur présence dans les écrans de télévision participe de la même idée : les personnages ne sont que des images, ils sont le cœur de l’illusion comique.
Benoît Rivière
L’Illusion comique de Mathieu Amalric, ce soir à 22h50 sur France 2.
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