Le festival de Berlin s’est ouvert hier avec la présentation du nouveau film de Wes Anderson, « L’ile aux chiens ». Une nouvelle incursion très réussie du cinéaste dans l’animation. Robert Pattinson en revanche s’en sort moins bien avec « Damsel », un western rigolard assez peu convaincant
Si on l’a déjà aperçu à Cannes (Moonrise Kingdom) ou à Venise (Darjeeling Limited), Wes Anderson joue à la maison à Berlin. C’est à la berlinale, en 2002, qu’a été lancé son premier vrai succès en Europe, La famille Tenenbaum. Puis La vie aquatique (2005) et The grand Budapest hotel (déjà en ouverture en 2014) ont valu des accueils berlinois triomphaux au cinéaste. Et inversement la fidélité de Wes Anderson au festival allemand permet d’assurer à la compétition au moins un film hyper consensuel, ravissant à la fois la critique et le public. L’opération s’est à nouveau reproduite hier : la dystopie critique L’île aux chiens a été applaudie avec ferveur lors de la soirée d’ouverture du festival. Ce divertisseemnt haut de gamme, griffé à chaque plan de la marque visuellement raffinée de son auteur, est de fait un parfait film de gala. Il est aussi mieux que ça.
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Fable politique
Il y a eu au tournant dans le cinéma de Wes Anderson. On peut le situer à la bascule dans les années 2000. Jusque là, son cinéma investissait plutôt le champ des affects, des gerçures sentimentales, du blues existentiel. Même si les grands espaces (de l’Inde par exemple) ou des grands fonds marins venaient élargir le cadre de ces ondulations intimistes, la famille, ses chagrins rentrés, ses dysfonctionnements constitutifs, étaient la matière de tous ses récits. Et puis Fantastic Mr. Fox (2009) est venu tout d’un coup donner un tour plus politique à la mélancolie d’Anderson. La question de la famille y était davantage nouée à celle de la société, son organisation, ses injustices. Quelque chose de plus trépidant, issu du cinéma d’aventures, venait aussi speeder la langueur chagrinée des films de La famille Tenenbaum ou La vie aquatique. En dressant une spectaculaire histoire du XXeme siècle, et des différents visages qu’y a pris la barbarie, The grand budapest hotel élargissait encore le champ. L’île aux chien est plus politique encore.
Fake news
Soit une épidémie de grippe canine qui s’abat sur le Japon. Le maire d’une importante métropole feint de s’occuper de la santé publique en proposant la déportation de tous les chiens malades dans une île voisine, déchetterie publique où les toutous exilés dépérissent en se nourrissant de fonds de fonds de poubelle. La vraie motivation de ce maire dictatorial est en fait une phobie des chiens (et une vénération des chats). Le film surprend par un traitement assez dur, très adulte, de cet argument de fantaisie. Le dépérissement physique (œil crevé, corps malades, squelettes presqu’à nu), l’imagerie concentrationnaire, et quelques scènes étonnantes de crudité (la préparation d’un sashimi à partir de poissons découpés vivants, une greffe de rein humain représentée sans détour), dessinent un film aux angles coupants. Et dont la visée de critique politique est assez directe. Si l’intrigue prend place au Japon, c’est malgré tout à l’Amérique contemporaine que fait penser cette cité aux mains d’un chef qui manie la désinformation de masse et dissimule les vérités scientifiques élémentaires pour asseoir sa manipulation.
Où sont les chiennes ?
Le film est un manifeste antispéciste véhément. A quelques exceptions près, les humains sont rejetés à la périphérie et le chien y accède à une reconnaissance légale de ses droits. Dans son plaidoyer égalitariste, le film se joue aussi de cet impérialisme propre au cinéma américain qui vise à faire parler toutes les populations en anglais. Seuls les chiens ici parlent en anglais et les humains japonais sont sous-titrés. Mais il y a en revanche un point sur lequel le film se montre assez peu égalitaire. C’est celui des genres. Vraiment très peu de chiennes peuplent cette île aux chiens. Deux pour ainsi dire, et si au moins l’une d’elles est vraiment très réussie (bien que furtive), leur fonction est assez stéréotypée : intrigue secondaire amoureuse, reproduction, mais pas de rôle à jouer dans le scénario de courses-poursuites et d’action. L’espèce humaine est un peu plus égalitaire que celle des chiens, puisque la fronde contre le maire est menée par une jeune étudiante américaine toute frisée. Mais là encore, c’est plutôt un jeune garçon qui occupe le centre. Des histoires de père et de fils, de frères unis ou désunis : la question du masculin occupe une place assez centrale dans le cinéma de Wes Anderson. Même si il n’en a pas moins, par le passé, créé aussi des personnages féminins magnifiques (à commencer par celui de Gwyneth Paltrow dans La famille Tenenbaum). Mais on est étonné que ce film qui sonne comme un appel pour une grande insurrection générale en la faveur de l’égalité soit aussi peu performant en son sein sur un des critères de cette égalité.
Far West et consentement
Il faut presqu’une heure pour qu’on comprenne que l’émancipation féminine est le sujet de Damsel, le western ironique de Nathan et David Zellner. Robert Pattinson incarne un homme qui part dans l’ouest profond des pionniers à la recherche de sa fiancée enlevée, avec pour acolyte une étrange prêtre un peu pleutre. Le récit ménage un certain nombre de retournements et Mia Wasikowska n’entre en scène qu’au milieu du film. L’opiniâtreté de son personnage à refuser les demandes d’amour toujours un peu abusive qui s’amoncellent à son passage, la colère qu’elle éprouve aux manifestations de sollicitude comme au désir si masculin de la sauver, est ce que le film comporte de plus contemporain et amusant. Mais cela ne suffit guère à donner de l’étoffe à un film qui court derrière les dernières étincelles des étoiles filantes Coen et n’en retient qu’un esthétisme trasho un peu puéril (les cow-boys ici se branlent au coin du feu sur le médaillon de leur copine et se font abattre en pissant – l’urine fuit encore du cadavre).
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