Virtuose, fantasque mais aussi très véhément, le second film en stop motion de l’auteur raconte la révolte de chiens bannis de la société des hommes.
L’action se déroule dans vingt ans, dans une grande cité japonaise imaginaire nommée Megasaki. Une épidémie de grippe canine pousse le maire, Kobayashi, par ailleurs un tyran totalement corrompu, à envoyer tous les chiens de la ville sur une île poubelle située au large de la mégalopole.
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Cette île devient très vite “l’île aux chiens”. Le meilleur ami de l’homme y survit dans des conditions horribles, souffre de maladies chroniques, bataille avec ses congénères pour une pitance infâme à base de détritus pleins d’asticots.
Bref, les canidés y mènent une vie de chien. Mais l’arrivée en avion d’un petit garçon courageux, Atari, venu rechercher son chien, Spots, va changer la donne. D’abord parce qu’il est le fils adoptif du méchant Kobayashi. Avec la bande de chiens à laquelle il s’allie, il va déjouer un complot terrible.
Un goût obsessionnel et enfantin pour la symétrie
L’Ile aux chiens est le deuxième film d’animation en stop motion de Wes Anderson (après Fantastic Mr. Fox, en 2009). On y retrouve son univers habituel, et notamment le côté maison de poupées et un goût obsessionnel et enfantin pour la symétrie et les travellings latéraux descriptifs. Les décors, somptueux, très détaillés, s’inspirent avec délice et détails de l’art japonais. On y retrouve aussi la malice d’Anderson et son goût pour les dandys gentlemen (comme l’était le fantastique monsieur Fox).
Mais les gentlemen sont ici les chiens. La preuve ? Ils sont les seuls à nous parler dans notre langue (en anglais en VO, en français en VF), dans un langage en outre plus châtié que canin. Les vulgaires, les barbares sont les hommes, qui font souffrir les chiens, dont les propos ne sont d’ailleurs pas postsynchronisés ou sous-titrés, mais parfois traduits par une interprète très drôle (nul racisme anti-nippon, précisons-le).
Ces chiens symbolisent tous les réprouvés
Les chiens ont du chien. Une petite chienne rousse très racée dira plusieurs fois à son prétendant qu’il est encore trop tôt pour accepter ses avances, ses propositions, avec une classe absolue que respecte et pratique le chien noir pourtant ténébreux et solitaire. Une fois de plus, la folie douce, l’humour pince-sans-rire, l’aspect farfelu des personnages ou de leurs actes contrebalancent ce qu’il peut y avoir de figé dans le cinéma de Wes Anderson.
La vision du monde que décrit Anderson est terrible : les politiques sont corrompus, les animaux maltraités, la Terre une porcherie. Et puis ces chiens symbolisent tous les réprouvés, les migrants, les marginaux de ce monde, les indésirables que l’on rejette loin des villes pour riches.
Le discours du dandy Wes Anderson est très politique
Sans pousser trop loin le bouchon, il est impossible de ne pas voir que le discours du dandy Wes Anderson est très politique. Ecrit avant la victoire de Donald Trump, le scénario semble avoir annoncé la prise du pouvoir par les malfaisants.
Anderson n’est peut-être pas le plus politisé des cinéastes, mais la vulgarité, la bêtise, la malhonnêteté ne sont pas de son monde. C’est dire si le spectacle que lui offre notre époque semble le dégoûter. Et combien L’Ile aux chiens est bel et bien le reflet fidèle et aiguisé de notre présent. Jean-Baptiste Morain
L’Ile aux chiens de Wes Anderson, avec les voix en VO de Frances McDormand, Bill Murray, Greta Gerwig ou, en VF, d’Isabelle Huppert, Vincent Lindon, Louis Garrel, Mathieu Amalric… (All., E.-U., 2018, 1 h 41)
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